LA PAIX DES BRAVES
En tant que congolais, plongé au cœur des dynamiques complexes de notre Afrique centrale, je ne peux m’empêcher de disséquer cette récente « main tendue » du président Félix Tshisekedi à Paul Kagame, prononcée lors du Global Gateway Forum à Bruxelles.
Ce geste, qualifié de « paix des braves« , surgit comme un coup d’éclat diplomatique dans un forum économique qui, par essence, n’était pas le cadre idoine pour aborder des enjeux sécuritaires aussi inflammables. Il s’agit d’un appel public où Tshisekedi, affirmant n’avoir jamais versé dans le bellicisme, exhorte Kagame à retirer les troupes rwandaises soutenant le M23, tout en invoquant le monde comme témoin.
Mais creusons plus profond, car derrière cette rhétorique se cache une stratégie naïve, influencée par des pressions internationales – américaines et européennes en tête – pour accélérer des processus de paix enlisés à Doha et Washington.
Techniquement, cette déclaration trahit une inopportunité dangeureuse. Prononcée en ce mois d’ octobre 2025, elle intervient alors que les négociations à Doha sur la cessation des hostilités et les échanges de prisonniers avec le M23 piétinent, freinées par des divergences sur le retrait rwandais et la neutralisation des FDLR – ces rebelles hutus que Kigali accuse Kinshasa de protéger.
Ajoutez à cela les tractations économiques à Washington, visant un accès partagé aux minerais congolais, sous l’impatience d’un Donald Trump pressé de sceller un « deal » favorisant les intérêts américains.
Tshisekedi, en optant pour un forum économique plutôt qu’un canal diplomatique discret, s’expose aux conséquences d’une maladresse stratégique : au lieu de « bousculer » Kigali comme il l’espérait, il offre au Rwanda une tribune pour riposter avec virulence.
Et Kagame, ne se fait pas prier deux fois ! Sur X, la qualifie de « tonneau vide« , tandis que son ministre des Affaires étrangères et des « Réseaux sociaux », Olivier Nduhungirehe, en ajoute une couche définissant la demande de Tshisekedi comme une « comédie politique ridicule« , insistant que seule la RDC peut désamorcer l’escalade.
Cette réponse rwandaise, immédiate et cinglante, souligne l’échec prévisible d’une telle démarche publique, qui contraste avec les déclarations passées de la diplomatie congolaise.
En enrichissant cette analyse avec des sources complémentaires, on discerne une série de tentatives diplomatiques inachevées. Dès mars 2025, une rencontre à Doha sous médiation qatarie entre Tshisekedi et Kagame visait à apaiser les tensions à l’Est, focalisée sur la neutralisation des groupes armés et l’exploitation mutuelle des ressources. Puis, en mai, Emmanuel Macron recevait Kagame à l’Élysée pour discuter des enjeux régionaux, incluant un mémorial pour le génocide des Tutsis, marquant un rôle français dans la facilitation. Juin voyait Paris orchestrer sans succès une diplomatie humanitaire pour unir Kinshasa et Kigali, exploitant un « élan compassionnel » pour des motifs sécuritaires et économiques.
Même André Flahaut, ancien ministre belge, condamne la réponse « indigne » de Kagame, appelant à une action internationale ferme.
L’inopportunité de la réaction diplomatique rwandaise n’est pas anodine ; elle risque d’exacerber les tensions régionales, où accusations mutuelles – soutien rwandais au M23 contre alliances prétextueuse congolaises avec FDLR– perpétuent un cycle vicieux.
En tant que Congolais, nous devons reconnaître que ce discours, loin d’être un coup de maître, révèle les frustrations d’une diplomatie offensive récente – tentatives de qualifier le conflit de génocide, pushes pour des sanctions contre le Rwanda – qui se frustre face à l’indifférence apparente de kigali. Les implications sont claires : sans gestes concrets en coulisses, les réactions virulentes rwandaises pourraient torpiller encore plus les processus de paix, laissant l’Est en proie à l’escalade et à la menace de balkanisation du Kivu.
Pourtant, au milieu de cette analyse diplomatique, émerge une urgence politique vitale :
le peuple congolais doit retrouver l’espoir.
Nous, qui avons enduré des décennies de conflits, ne pouvons-nous résigner à la passivité. Cet épisode nous appelle à exiger une stratégie cohérente, ancrée dans notre souveraineté, où la paix n’est pas une improvisation mais un projet collectif.
En mobilisant notre résilience – cette force qui a survécu aux colonisations et aux guerres – nous pouvons transformer ces faux pas en catalyseurs pour une diplomatie robuste, inclusive, déterminée et cohérente, qui priorise notre peuple plutôt que les agendas étrangers, tout en prenant à témoin le monde sur notre bonne foi et disponibilité à faire la paix.
L’espoir n’est pas complétement perdu ; il réside dans notre capacité à unir nos voix intérieures et les pressions extérieures, pour une RDC souveraine et pacifiée, libre de l’épée de Damocles de la balkanisation qui pèse sur l’Est de la RDCongo.
C’est là, dans cette quête et cet équilibre, que réside notre véritable « paix des braves« , que nous allons gagner, même si nous devons « aller la chercher à Canossa », passant par Bruxelles.
Eugène Diomi Ndongala,
Démocratie Chrétienne.




