KINSHASA A GENOUX : FAUT-IL DECLARER LA CAPITALE « VILLE SINISTREE » POUR ENFIN LA SAUVER ?
Kinshasa se meurt à ciel ouvert, et personne ne semble capable de l’empêcher.
Chaque année, la ville-province de plus de 17 millions d’habitants s’enfonce un peu plus dans le chaos. Les avenues jadis fières – Boulevard du 30 Juin, Lumumba, By-Pass – sont aujourd’hui des cicatrices béantes de bitume arraché, d’immondice non ramassées, de nids-de-poule transformés en lacs après deux heures de pluie.
Les quartiers populaires de Masina, N’Djili, Kimbanseke ou Kingasani vivent sous la menace permanente des érosions qui rongent les collines comme un cancer. À Lemba, le plateau des professeurs de l’Université de Kinshasa glisse littéralement vers la rivière Lukaya : des maisons entières ont déjà été englouties, d’autres pendent dans le vide, soutenues par des pieux de fortune. À Mont-Ngafula, la ravine Kindele a avalé des dizaines d’habitations en une seule nuit de novembre 2025.
Et pourtant, rien ne change.
Le Gouvernorat de Kinshasa, dirigé depuis avril 2024 par Daniel Bumba, regarde la ville s’effondrer sans avoir ni les moyens ni, semble-t-il, la volonté réelle de l’arrêter.
On promet des travaux d’urgence chaque saison des pluies, mais les engins de l’Office des Voiries et Drainage (OVD) arrivent trop tard, quand les dégâts sont déjà irréversibles. Les caniveaux, lorsqu’ils existent, sont bouchés par des montagnes d’immondices.
Les rivières – N’Djili, Makelele, Kalamu – ne sont plus que des égouts à ciel ouvert où l’on jette tout : plastiques, cadavres d’animaux, déchets hospitaliers.
Quand la pluie tombe, ces rivières débordent et charrient la mort jusqu’au cœur des maisons. En novembre 2025, après seulement trois jours de fortes averses, plus de 400.000 personnes ont été touchées, des écoles fermées, des marchés submergés, des routes coupées pendant des semaines.
Le budget du Gouvernorat est une farce.
Sur les 600 millions de dollars théoriquement alloués chaque année à la ville-province, moins de 15 % sont effectivement exécutés pour les infrastructures. Le reste s’évapore dans des « frais de fonctionnement », des marchés de gré à gré opaques ou des salaires fantômes. Les projets phares – le curage des grandes ravines, la construction de dalots, le reboisement des têtes d’érosion – sont lancés en grande pompe devant les caméras, puis abandonnés dès que les journalistes repartent. Les entrepreneurs choisis sont souvent ceux qui reversent la plus grosse « rétrocommission ». Résultat : des chantiers inachevés, des matériaux volés, des ouvrages qui s’effondrent à la première pluie.
L’Hôtel de Ville, siège du Gouvernorat, est lui-même un symbole de cette impuissance.
Ses propres caniveaux sont bouchés, ses murs fissurés, son parking inondé chaque saison.
Comment demander à une administration qui ne parvient pas à entretenir son propre bâtiment de sauver une ville de 10.000 km² ?
Cette dérive, cet abandon pur et simple d’une capitale nationale, n’est plus un secret pour quiconque.
Le président Félix Tshisekedi lui-même, lors du Conseil des ministres du 14 novembre 2025, a fustigé cette « dégradation profondément alarmante, voire catastrophique » de la salubrité à Kinshasa, pointant du doigt un « manque de suivi manifeste » dans la gestion publique. Il a annoncé une convocation imminente des acteurs concernés pour une évaluation urgente, promettant des sanctions exemplaires contre toute défaillance constatée, afin de rétablir un cadre urbain acceptable.
À peine une semaine plus tôt, le 7 novembre, le même Conseil avait déjà réagi aux premiers dégâts des pluies, appelant à actualiser le plan opérationnel contre les catastrophes naturelles et à accélérer les démolitions sur les sites non aedificandi pour prévenir les inondations. Sur instruction du chef de l’État, le ministre des Infrastructures, John Banza Lunda, a même lancé, le 22 novembre, une riposte d’envergure contre les érosions à Kimbembo et Kimwenza, avec des travaux d’urgence pour stabiliser les talus et un système moderne de drainage.
Ces déclarations, ces promesses d’actions immédiates, sonnent comme un aveu d’échec : l’État central reconnaît que le Gouvernorat est dépassé, que l’abandon a trop duré, et que des mesures urgentes – au-delà des mots – sont vitales pour endiguer la dérive.
Mais sans suivi concret, ces annonces risquent de n’être que des pansements sur une plaie gangrénée.
Les Kinois, eux, ont fini par s’habituer à vivre dans la catastrophe. Ils construisent des ponts de fortune en planches au-dessus des ravines, posent des sacs de sable devant leurs portes, prient pour que la pluie s’arrête avant que leur maison ne disparaisse. Les enfants grandissent en apprenant à nager dans les eaux usées avant même de savoir lire.
ET POURTANT, LA SOLUTION EXISTE : DECLARER KINSHASA « VILLE SINISTREE ».
Ce n’est pas une humiliation, c’est une urgence vitale.
En droit congolais, une telle déclaration – par arrêté du Premier ministre ou du Président de la République – permettrait de débloquer des fonds exceptionnels, de contourner les lourdeurs administratives habituelles, de réquisitionner des moyens militaires et internationaux, et surtout de placer la reconstruction sous une autorité spéciale, hors des griffes du Gouvernorat actuel, clairement dépassé par l’ampleur du désastre.
Les récentes déclarations du Président Félix Tshisekedi en Conseil des ministres soulignent précisément cette nécessité: face à un abandon structurel et une dérive accélérée par les pluies torrentielles, il faut des mesures d’urgence radicales – non pas des réunions ni des promesses, mais une mobilisation totale pour fluidifier la circulation, curer les rivières, assainir les avenues débordantes d’immondices et bouteilles en plastique, démolir les constructions anarchiques, réhabiliter les drains et reloger les sinistrés. Sans cela, les sanctions promises resteront lettre morte, et Kinshasa continuera de couler.
Car Kinshasa n’a plus le luxe d’attendre que son gouverneur se réveille. La ville est déjà à genoux. Si rien n’est fait dans les prochains mois, des quartiers entiers vont purement et simplement disparaître de la carte. Et avec eux, des centaines de milliers de vies.
Kinshasa ne demande pas la pitié. Elle demande qu’on la traite enfin comme une capitale nationale en péril de mort.
Une déclaration de ville sinistrée serait le signal que l’État central prend enfin la mesure du drame. Et d’ailleurs, quand le Conseil des Ministres requisitionne l’armée pour essayer de régler la circulation chaotique et rendue pratiquement impossible dans la capitale, ce n’est pas déjà un signe qui demande une formalisation de cet état d’urgence ?
Ce serait reconnaître que le Gouvernorat, seul, n’a ni les compétences, ni les ressources, ni la volonté de sauver la ville qu’il est censé administrer. Il est temps d’arrêter de maquiller la catastrophe.




