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Déclaration de l’ACAJ à l’occasion de l’ouverture de la session ordinaire de l’Assemblée générale du Conseil Supérieur de la Magistrature (CSM) / 07/04/2014

Déclaration de l’ACAJ à l’occasion de l’ouverture de la session ordinaire de l’Assemblée générale du Conseil Supérieur de la Magistrature (CSM)

 

« La justice doit servir les Droits de l’Homme et la démocratie en RDC»

 

A l’occasion de l’ouverture de la session ordinaire de l’Assemblée générale du Conseil Supérieur de la Magistrature (CSM) ce 7 avril 2014 à Kinshasa, l’Association congolaise pour l’accès à la justice (ACAJ) appelle les délégués à se pencher sur les maux qui rongent le pouvoir judiciaire et d’adopter des stratégies efficaces devant les éradiquer.

1.      Absence de démocratie et violation des textes légaux

 

Depuis sa création en 2008 à ce jour, le CSM n’a tenu qu’une seule session ordinaire dont il a été maître de l’ordre du jour; les deux autres étaient extraordinaires avec un ordre du jour prédéterminé par l’organe de convocation. Celle qui commence ce 7 avril 2014 est la quatrième.

 

Plusieurs délégués ont rapporté à ACAJ que lors de dernières sessions il n’y a pas eu de débat démocratique et l’ordre du jour était fermé même pour la session ordinaire. Personne n’a eu droit de faire partie d’une commission de son choix, et les membres de bureaux des commissions étaient désignés d’avance. A titre d’exemples, ils mentionnent les cas des membres de la commission des carrières dont les membres et ceux de son bureau ont été toujours désignés, depuis plus de trois ans, par le Président du Bureau[1] du CSM; de l’actuel Secrétaire Permanent qui devait être remplacé depuis qu’il a été nommé au grade de Conseiller à la Cour suprême de justice et a perdu sa qualité de membre de droit du CSM et ce, en violation de l’article 33 de la Loi portant organisation et fonctionnement du CSM; de l’absence de rapport de gestion du Bureau du CSM et de l’évaluation de mise en œuvre des résolutions en violation de l’article 43 de ladite Loi. Ils fustigent le fait que c’est soit le Bureau du CSM qui dicte sa volonté à l’assemblée générale en censurant les résolutions – que les participants ne reçoivent pas après travaux – et ce, en violation des articles 6 et 17 de la Loi qui régit le CSM.

 

Ils reprochent au Bureau du CSM l’exécution des marchés relatifs à l’organisation des sessions notamment leurs transports, logement et restauration ainsi que l’impression des documents de travail n’aient jamais fait l’objet d’offres publiques préalables, pourtant couverts par les fonds public[2].

 

2.      Manque d’indépendance du pouvoir judiciaire

 

Pour rappel, les articles 149 et 150 alinéa 2 de la Constitution de la République démocratique du Congo garantissent l’indépendance du pourvoir judiciaire et soumettent l’exercice de fonctions des juges à la seule autorité de la loi. Dans le souci de renforcer cette indépendance, nécessaire pour la protection effective des droits et libertés fondamentaux de citoyens, la Constitution a doté le pouvoir judiciaire du CSM composé des seuls Magistrats[3].

 

Mais dans la pratique, le pouvoir judiciaire ne fait pas montre d’indépendance vis-à-vis principalement du pouvoir exécutif. Les condamnations des opposants politiques Jacques CHALUPA et Eugène DIOMI constituent des cas emblématiques de la main mise du pouvoir exécutif sur le pouvoir judiciaire, sans oublier celles de Pasteur Fernando KUTINO, M. Firmin YANGAMBI… et des défenseurs des droits de l’homme de Bandundu et Bas-Congo[4].

 

Donc, au lieu de jouer son rôle constitutionnel de garant des droits et libertés fondamentaux de citoyens, la justice a beaucoup contribué, ces derniers mois, à l’emprisonnement des opposants politiques et acteurs de la société civile.

 

Il s’y ajoute la pratique illégale de visa préalable des chefs de juridiction qui mine l’indépendance du juge. En effet, plusieurs cas documentés par ACAJ établissent que les magistrats qui ont tenté de défendre leur indépendance et résister aux injonctions extérieures ont été soit sanctionnés, soit qu’ils font actuellement l’objet d’actions disciplinaires. A titre d’exemples dans la province de :

i.                    Maniema, deux de Kasongo sont déférés devant la chambre provinciale de discipline ;

ii.                  Nord-Kivu, un conseiller à la Cour d’Appel a été récemment interdit d’exercer durant un mois pour avoir refusé de soumettre sa décision au visa préalable, et deux de ses collègues avaient échappé à une sanction similaire après avoir  retourné les dossiers au Chef de juridiction;

iii.                Ville province de Kinshasa, 4 juges dont la chef de juridiction font actuellement l’objet de poursuites disciplinaires pour n’avoir pas condamné un leader de l’opposition comme l’avait demandé leur hiérarchie…

 

Par ailleurs, l’ACAJ a adressé plusieurs lettres au Premier Président de la Cour Suprême de Justice et Président du CSM et à l’Inspecteur Général des services judiciaires plaidant pour la suppression de la pratique de visa préalable des chefs de juridiction sur des décisions à prononcer[5]. Elle pourra communiquer la liste des magistrats concernés en cas de demande.

 

En rapport avec le budget du pouvoir judicaire qui devait renforcer son indépendance, il faut rappeler qu’avec le concours des partenaires USAID et autres, le CSM à élaboré au cours de sa dernière session extraordinaire des prévisions budgétaires du pouvoir judiciaire qu’il avait transmis au Gouvernement pour intégration dans le budget général de l’exercice 2013-2014.  Mais les pouvoirs exécutif et législatif ne les ont pas pris en compte en dépit des discours officiels rassurant et de la résolution des concertations nationales mentionnant la nécessité de rendre effective l’autonomie budgétaire et financière du pouvoir judiciaire.

 

L’ACAJ déplore l’absence d’initiative de la part du CSM devant permettre l’obtention de cette autonomie budgétaire et financière. Car l’amélioration des conditions socio-professionnelles des magistrats est un facteur indispensable à la lutte contre la corruption et leur démotivation.


3. Promotions en grade et activité syndicale

 

Le CSM, en tant qu’organe de gestion de l’évolution de la carrière a, à son actif, un grand recrutement de 2.500 par deux vagues de 1000 magistrats et 500 toujours en attente de nomination[6]. Il faut signaler que beaucoup d’enfants de Magistrats ont réussi au concours organisé par le CSM.

 

ACAJ déplore une mauvaise gestion du personnel nouveau car bon nombre de Magistrats dits de la tolérance zéro n’aient été affectés qu’à Kinshasa alors qu’ils pouvaient, depuis longtemps, faciliter la reprise du fonctionnement de plusieurs juridictions et offices qui manquaient des Magistrats dans les provinces. Était-ce par manque des moyens? Il y a lieu d’en douter car les discours officiels ayant entouré ce recrutement massif et célébré avec faste à la Cité de l’Union Africaine, faisaient état des moyens colossaux mobilisés sous le Gouvernement MUZITO lequel n’avait pas hésité à entrevoir de doter les nouveaux Magistrats de véhicules individuels.

 

Après les nominations intervenues au milieu de l’année 2013, des sérieuses contestations ont été élevées par les justiciables, les Magistrats eux-mêmes ainsi que leurs syndicats respectifs. En effet, des critiques acerbes avaient fusé dans le sens de dénoncer le tribalisme, la camaraderie, le règlement de comptes, le genre qui avaient supplanté les critères objectifs de bon signalement ou cotation, de compétence, d’expérience et d’ancienneté[7].


Dès lors, les membres du CSM, civils comme militaires, qui avaient pensé siéger dans une sorte de parlement judiciaire se sentent désabusés car entre les résolutions prises en Assemblée Générale et les ordonnances présidentielles qui en étaient résulté c’est le jour et la nuit. Le point culminant du tripatouillage ou des erreurs à été atteint par la nomination des Magistrats décédés bien avant les assises du CSM, les enjambements de plus de deux grades, la promotion de retraités et la confusion entre Magistrats du siège et du parquet.

 

Quant aux dernières affectations des Magistrats, spécialement celles des près d’une centaine des tribunaux de paix, elles constituent une erreur équipollente au dol car on fait faussement croire qu’elles vont rapprocher la justice des justiciables. La vérité est toute autre. La nouvelle Loi sur l’organisation, la compétence et le fonctionnement des tribunaux, fait de l’assistance du ministère public obligatoire. Or la quasi totalité des tribunaux de paix créés sont, non seulement situés à plus de 50 km des parquets ou que les parquets secondaires sont rares, mais surtout n’ont pas assez de juges pour siéger convenablement[8]. C’est le même problème que connaissent la plupart des tribunaux pour enfants qui ne fonctionnent pas manque de juge ou qu’ils ne fonctionnement qu’avec une seule chambre et sans possibilité de constituer une chambre d’appel[9]. Il y a donc des obstacles juridiques liés au respect des textes en sus de ceux liés à l’absence de bâtiments ou locaux même si le Gouvernement voudrait étendre l’expérience des écoles à deux vacations (matin et soir). Les mutations des juges se sont faites en violation manifeste du principe de leur inamovibilité qui commande qu’un juge ne soit muté qu’à sa demande ou pour une promotion. Si quelques magistrats civils ont reçu la somme de 1300.000 francs congolais comme frais de transport, leurs collègues militaires ne reçoivent que des feuilles de route et doivent se débrouiller pour le reste et rejoindre leurs lieux d’affectation !

 

Les syndicats de magistrats sont abusivement accusés d’entretenir « de désordre et rébellion» à cause de leur combat pour l’amélioration des conditions socio-professionnelles des magistrats et la promotion de l’indépendance du pouvoir judiciaire. Plusieurs leaders syndicaux n’ont pas bénéficié de promotion depuis plusieurs années. Quelques uns ont été éloignés de leurs bases électorales respectives, par mutation, pour paralyser les activités syndicales et briser toute l’élan de revendication au sein de la magistrature. Les réunions syndicales ne sont plus tolérées dans les salles d’audience des palais de justices, principalement à Kinshasa et Lubumbashi[10].

 

4. Violation des droits des femmes magistrats mariées

 

Tout en saluant la faible amélioration du pourcentage des femmes magistrats au sein du pouvoir judiciaire à la suite des récents recrutements et nominations (plus ou moins 17 %), l’ACAJ est très préoccupée par leurs mutations faites en violation des articles 453, 454 et 455 du code de la famille ainsi que des leurs conditions de voyage et d’installation. Le Président du CSM leur aurait demandé de choisir entre l’emploi et le mariage ont-elles déclaré à ACAJ !  

 

Certaines, parmi celles qui ont rejoint leurs postes de suite de menace de sanction, ont témoigné à ACAJ ce qui suit:

i.                    Dans la province du Kasai-Oriental, une magistrate mariée s’est vue contrainte de passer nuit dans une même chambre avec son chef, homme, par manque de logement officiel ni moyen pour s’en procurer dans un hôtel, et une autre qui était en transit pour le lieu de son affectation s’est accouchée dans des conditions difficiles et loin de son époux ;

ii.                  Dans la province Orientale, une magistrate mariée a dû rejoindre en urgence son poste d’attache et laisser son bébé à Kisangani par manque de moyens pour payer son ticket;

iii.                A Kinshasa, une magistrate mariée et dont l’époux se trouve dans la province du Katanga pour de raisons professionnelles, a dû laisser ses 4 enfants mineurs, vivre seuls, pour rejoindre son poste au Bas-congo;

iv.                A Lubumbashi, une magistrate mariée a dû laisser son époux très malade et ses enfants mineurs pour rejoindre son poste à Kinshasa et échapper à la sanction…


5. Révocations, mises à la retraite et réhabilitation

 

Si le CSM a été maître de l’ordre du jour de sa première session ordinaire, les deux autres extraordinaires lui avaient permis d’esquiver le traitement du dossier de réhabilitation des Magistrats révoqués illégalement ainsi que des mises à la retraite discriminatoires sans une explication objective. La non prise en charge du dossier de réhabilitation a contraint les Magistrats victimes et les différents syndicats à soumettre la question aux Concertations nationales en vue de la cohésion nationale.

 

Au regard de l’analyse qui précède, l’ACAJ recommande vivement aux délégués à la 4ème session ordinaire de l’Assemblée générale du CSM de :

–          Faire inscrire à l’ordre du jour l’évaluation de la mise en œuvre des résolutions adoptées au cours de trois dernières sessions et l’état de lieux de l’administration de la justice;

–          Adopter une résolution rappelant la soumission de tous les magistrats à l’autorité de la loi, aux principes d’un Etat de Droit et de la démocratie, et la défense de l’indépendance du pouvoir judiciaire;

–          Adopter une résolution demandant au Bureau de nommer des nouveaux membres du Secrétariat permanent répondant aux critères légaux et rapporter les décisions mutant des femmes magistrats mariés sans leur avis préalable;

–          Engager le Bureau à obtenir des moyens financiers pour assurer payer les frais de transports et d’installation des magistrats civils et militaires et leurs familles ;

–          Adopter les prévisions budgétaires du pouvoir judiciaire pour l’exercice 2014-2015 ainsi que stratégies de plaidoyer et suivi pour leur prise en compte intégrale dans le budget général de l’Etat ;

–          Demander  au Bureau de présenter à l’Assemblée générale les rapports annuels de gestion financière et rappeler le respect de principes gouvernant les marchés publics ;

–          Examiner les recours des magistrats irrégulièrement révoqués et retraités pour des propositions urgentes à leur réhabilitation;

–          Faire cesser toutes les poursuites disciplinaires actuellement résultant de l’exercice des activités syndicales ou du non respect de la pratique de visa préalable ;

–          Veuillez à la représentation équitable des femmes au sein de la magistrature, y compris des postes de commandement, et leur réserver au moins le un tiers des membres des Cour Constitutionnelle, Cour de cassation et du Conseil d’Etat ;

–          Mentionner l’importance de la liberté syndicale au sein du pouvoir judiciaire et de la collaboration de ce dernier avec les ONG de la société civile ainsi que des médias ;

–          Rappeler au Bureau du CSM son obligation de distribuer aux participants les résolutions adoptées, après les travaux de l’Assemblée générale, et d’en faire aussi publier au Journal officiel.

 

Fait à Kinshasa, le 7 avril 2014

Pour l’ACAJ,

M. Georges Kapiamba

Président National


[1] Conformément à l’article 14 de la Loi portant organisation et fonctionnement du CSM, le Bureau est composé de Premier Président de la Cour suprême de justice, Procureur Général de la république, Premier Président de la Haute Cour Militaire et de l’Auditeur Général Militaire des FARDC.

[2] Article 41 : le budget du pouvoir judiciaire est exécuté et géré conformément aux règles de la comptabilité publique.

[3] Conformément à l’article 152 de la Constitution. Ceci constitue une innovation majeure car le CSM, ancienne formule, était largement noyauté par l’exécutif via le Ministre de la Justice. Il est l’unique organe de gestion du Magistrat dans l’évolution de sa carrière (recrutement, promotion, retraite, révocation, réhabilitation, démission) et sa discipline. Aux termes de l’article 149 de la Constitution, lu conjointement avec l’article 2 de la Loi organique n° 08/013 du 5 août 2008 portant organisation et fonctionnement du Conseil Supérieur de la Magistrature, le CSM  cette gestion se traduit aussi par une autonomie budgétaire. Les Magistrats ont aussi le pouvoir de s’entrenommer en cas d’urgence de service.

[4] 15 défenseurs des droits de l’homme ont été condamnés à des peines de prison ferme en 2013 pour sanctionner leur travail dont 12 de l’ONG ADVB à Bandundu-Ville, et 3 de l’ONG ACPDH à Boma au Bas-congo. Deux autres membres de l’ONG ALLIPAM sont détenus à ce jour par la justice à Kasongo dans la province de Manièma.

[5] ACAJ a plusieurs fois rappelé qu’aux termes de l’article 4 du code d’éthique et de déontologie des magistrats adopté par le CSM cette pratique est constitutive d’une faute disciplinaire à charge de celui qui en fait recours. Donc, chaque magistrat doit s’y opposer et en dénoncer par toutes les voies de droit.

[6] L’ACAJ a noté aussi un recours abusif à l’article 12 du statut des Magistrats qui permet au Premier Président de la Cour de Cassation et au Procureur Général près cette Cour de désigner provisoirement des Magistrats relevant d’eux, en cas d’urgence, à un grade immédiatement supérieur à faire confirmer ultérieurement par le CSM.

[7] Est-ce la raison pour laquelle jusqu’à ce jour, le Journal Officiel à bloqué la publication de la série d’ordonnances présidentielles signées depuis juin 20013? Dans tous les cas, les Magistrats n’ont pas attendu comme de coutume de disposer du journal officiel pour prêter serment, du moins certains d’entre eux. En effet, les Magistrats de la Cour Suprême de Justice, une Cour pourtant supprimée et en attente  d’éclatement en trois, ont attendu plus de sept mois pour que leur serment soit envisagé même si à la dernière rentrée judiciaire, certains s’étaient affichés en toges rouges de cérémonie alors qu’il s’agissait d’une audience dans laquelle ils ne devraient pas siéger faute d’avoir été investis par le biais de la prestation du serment statutaire devant le Président de la République.

[8] Cas des tribunaux de paix de Masisi, Bukama, Mitwaba, Pweto, Walungu, Kamituga, Inongo, Kwamouth, Kibi, Ilebo, Lukolela, Mobayimbongo, Ikela, Buta, Monkoto…

[9] Cas des tribunaux pour enfants de Kikwit, Bandundu-ville, Mbandaka, Kananga, Matadi, Mbuji-Mayi, Bukavu, Kisangani, Bunia, Lubumbashi…

[10] Entretiens de l’ACAJ avec plusieurs leaders syndicaux à Kinshasa et Lubumbashi.

 

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