INTERVIEW DU POTENTIEL MAGAZINE AVEC EUGENE DIOMI NDONGALA: BILAN ALINGETE, IGF ET LUTTE CONTRE LA CORRUPTION

LE POTENTIEL MAGAZINE – 25/05/2025
« Je dirais que le bilan d’Alingete est comme une rivière tumultueuse : elle a débordé d’ambition et charrié beaucoup d’espoir, mais elle s’est heurtée à des barrages trop solides pour tout emporter ».
Eugène DIOMI NDONGALA
LE POTENTIEL MAGAZINE/ QUELS SONT LES POINTS FAIBLES ET FORTS DE L’INSPECTION GENERALE DES FINANCES SOUS LE REGNE DE JULES ALINGETE ?
Eugène Diomi Ndongala : Pendant ces cinq dernières années, de 2020 à 2025, l’IGF a été sous les feux des projecteurs, portée par une ambition affichée de restaurer la bonne gouvernance et de combattre la corruption qui gangrène notre pays depuis trop longtemps.
Sous la direction de Jules Alingete, l’IGF a, quelques fois, montré les dents ! Les audits et enquêtes menés ont visé des figures emblématiques, des noms qui résonnent dans les couloirs du pouvoir. Prenez l’exemple de l’ancien Premier ministre Augustin Matata Ponyo, éclaboussé par le scandale de Bukanga Lonzo. Ces investigations ont envoyé un message clair : nul n’est intouchable, et l’IGF ne tremble pas devant les puissants. Cette audace, elle doit beaucoup au soutien indéfectible du président Félix Tshisekedi, qui a placé l’institution sous son autorité directe, lui offrant une autonomie renforcée.
Mais ne nous laissons pas emporter par l’enthousiasme sans regarder la réalité en face.
Car oui, il y a des ombres au tableau. Les enquêtes de l’IGF, aussi audacieuses soient-elles, ont suscité des vagues de critiques politiques. Certains, dans l’opposition comme dans l’entourage même du président, ont accusé Alingete de ternir l’image du régime, de faire trop de bruit pour peu de résultats tangibles. Ces tensions ont culminé avec sa mise à la retraite en mai 2025, à 61 ans, une décision qui a surpris plus d’un. Était-ce une sanction déguisée ou une simple fin de cycle ? Les spéculations vont bon train, mais une chose est sûre : ces critiques ont entaché la crédibilité de l’institution.
Plus grave encore, les chiffres parlent d’eux-mêmes. Le Corruption Perceptions Index de Transparency International, cet indicateur qui mesure comment le monde perçoit la corruption chez nous, est resté figé autour de 20 sur 100 pendant tout son mandat. Pas un point de plus ! Alors que M. Alingete vantait une réduction de la corruption, le monde, lui, ne l’a pas vu. Ce décalage entre ses déclarations et la réalité perçue pose question : les audits spectaculaires ont-ils vraiment changé la donne, ou ne sont-ils qu’une goutte d’eau dans un océan de défis structurels ?
Et puis, il y a eu ces campagnes de déstabilisation. Des rumeurs, des accusations de collusion avec des intérêts économiques, le scandale des jetons de présence millionnaires qui ont entaché son image. Ces critiques montrent que ses actions ont dérangé, certes, mais elles révèlent aussi les résistances féroces auxquelles il a dû faire face. Cela a peut-être freiné l’élan de l’IGF, limitant son impact là où on attendait une révolution.
En somme, je dirais que le bilan d’Alingete est comme une rivière tumultueuse : elle a débordé d’ambition et charrié beaucoup d’espoir, mais elle s’est heurtée à des barrages trop solides pour tout emporter.
LE POTENTIEL MAGAZINE / SELON VOUS, QUELLE DEVRAIT ETRE LA VERITABLE MISSION DE L’INSPECTION GENERALE DES FINANCES (IGF) SOUS LA DIRECTION DU NOUVEL INSPECTEUR ?
Eugène Diomi Ndongala : La nomination de Christophe Bitasimwa Bahii à la tête de l’IGF n’est pas un simple changement de fauteuil ; c’est un signal, un appel à l’espoir, mais aussi une lourde responsabilité.
L’Inspection générale des Finances est plus qu’une institution; elle est le bouclier qui devrait protéger nos ressources publiques, garantir que l’argent du peuple sert le peuple.
Sous Christophe Bitasimwa Bahii, cette mission doit prendre un souffle nouveau.
De quoi parlons-nous ? D’un contrôle strict des finances publiques pour que chaque franc soit utilisé à bon escient. D’une lutte sans merci contre la corruption, ce voleur silencieux qui nous prive d’infrastructures de base. Et surtout, d’une transparence qui redonne confiance à nous tous, Congolais assoiffés de bonne gouvernance.
Mais soyons précis. Bahii, avec son doctorat en économie et son expérience d’inspecteur aguerri, doit mettre l’accent sur des audits rigoureux. Il ne s’agit pas seulement de vérifier des chiffres, mais de s’assurer que les lois sont respectées, que les fonds publics ne s’évaporent pas dans des poches privées ou de ministres corrompus. Il doit promouvoir une gestion responsable, en instaurant des pratiques qui sanctionnent les abus.
Certes, ne nous voilons pas la face : le chemin est semé d’épines. L’IGF opère dans un pays où les pressions politiques sont une réalité quotidienne. Pourra-t-il prouver que l’IGF est au service du Congo tout entier et non d’un clan ou d’une faction politique ?
Les scandales financiers, relayés à grande échelle dans la presse, ont réveillé la colère légitime du peuple. Cette colère est une force, mais aussi un défi : elle exige des résultats et vite. Bahii devra naviguer entre ces attentes populaires et les tentatives d’interférence.
Si je devais dresser un tableau des priorités pour Christophe Bitasimwa Bahii, voici ce que je proposerais :
· Le Contrôle financier : Des audits implacables, une conformité stricte aux lois et aux procédures budgétaires, trop souvent court-circuitées.
· L’Anticorruption : Des enquêtes qui démasquent les coupables et protègent notre trésor national.
· La Transparence : Des comptes et des contrats rendus limpides, accessibles à tous.
· L’Innovation : Des outils modernes pour traquer les abus avec efficacité.
· La Mobilisation citoyenne : Un peuple conscient, prêt à dire « non » à la corruption.
En conclusion, la mission de l’IGF sous Christophe Bitasimwa Bahii est de faire de cette institution une lumière dans l’obscurité de la mauvaise gouvernance. Avec son savoir, son expérience et notre soutien, il peut contribuer à bâtir un Congo où les finances publiques sont un levier de développement, pas une source de honte, à cause de détournements scandaleux, trop récurrents et impunis qui minent la gouvernance du pays.
LE POTENTIEL MAGAZINE/ COMMENT LUTTER CONTRE LA CORRUPTION ET LES DETOURNEMENTS DE FONDS ?
Eugène Diomi Ndongala : La corruption, ce voleur tapi dans l’ombre, est une plaie qui saigne notre nation depuis trop longtemps. Selon Transparency International, en 2024, notre pays stagne au 163e rang sur 180 avec un score de 20/100 sur l’Indice de perception de la corruption. Cela veut dire que nous sommes parmi les plus touchés au monde !
Pour commencer, il faut parler de nos institutions. L’Agence de Prévention et de Lutte contre la Corruption (APLC) et l’Inspection générale des Finances (IGF) devrait être nos soldats sur le front. Avec Christophe Bitasimwa Bahii à la tête de l’IGF depuis mai 2025, nous avons une nouvelle chance de faire mieux. Mais soyons lucides : ces institutions sont comme des arbres sans racines si elles manquent de fonds et d’indépendance. Les pressions politiques les étouffent trop souvent. Donnons-leur des moyens, une liberté totale pour enquêter et auditer sans peur ni favoritisme. Sans cela, elles ne seront que des coquilles vides, des jouets entre les mains des puissants.
Ensuite, les lois. Nous en avons un arsenal, mais elles dorment dans les tiroirs. Appliquer les lois anti-corruption sans regarder la couleur politique ou le nom de famille, voilà ce qui fera trembler les corrompus.
Prenons les contrats publics : si chaque détail est exposé au grand jour les voleurs n’auront plus d’ombre ou de niches de rétro-commissions juteuses pour saigner les comptes du tresor.
La fenêtre unique pour l’enregistrement des entreprises a réduit les bakchichs en simplifiant les démarches, c’est un bon début.
Mais cette bataille ne se gagnera pas sans l’implication de tous les congolais. La société civile, les lanceurs d’alerte, les journalistes et les hommes politiques engagés sont les gardiens de notre avenir. Quand vous dénoncez, quand vous surveillez, vous mettez la pression sur les corrompus.
Regardons aussi au-delà de nos frontières. La corruption traverse les frontières, mais nos partenaires peuvent nous aider à la terrasser. La Convention des Nations Unies contre la Corruption, l’Union africaine, les sanctions américaines contre nos élites corrompues en 2023 : ce sont des leviers puissants.
Et les mines, parlons-en ! Notre cobalt, notre coltan, ces trésors que le monde nous envie, sont trop souvent pillés sous nos yeux. L’Initiative pour la transparence dans les industries extractives (EITI) est un pas, mais pas assez. Réformons ce secteur avec des contrôles stricts, des contrats limpides, pour que chaque franc profite aussi aux congolais et les communautés locales. Cessons de laisser ces richesses engraisser les poches des corrompus!
Enfin, utilisons la technologie. Des portails en ligne pour payer ses taxes, des systèmes d’e-gouvernance : moins de contacts humains, moins de commissions. C’est simple, c’est moderne et ça marche. Pourquoi traîner encore avec des piles de paperasse qui ne servent qu’à graisser des mains avides ?
Mais je ne vais pas vous mentir, le chemin est semé d’embûches.
L’impunité règne encore : sur 147 dossiers ouverts devant la justice entre 2020 et 2021, seuls 10 ont abouti, selon l’ACAJ. Les ressources manquent, le système judiciaire est fragile et les secteurs clés restent des nids de corruption. Le contrôle parlementaire sur le gouvernement reste très faible et inefficace. Sans une volonté politique d’acier, nous tournerons en rond.
En conclusion, la lutte contre la corruption est un combat multidimensionnel.
Renforçons nos institutions, appliquons nos lois, mobilisons notre peuple, collaborons avec le monde, réformons notre gestion des richesses naturelles, adoptons la technologie pour plus d’efficacité et pourquoi pas, pour lancer un DOGE-RDC, un Département de l’Efficacité Gouvernementale, qui traque les gaspillages, la surfacturation, le train de vie extravagant des institutions et la corruption.
Mais surtout, retrouvons cette volonté de dire « assez ! » à ceux qui détournent, car chaque franc détourné est une école qui ne se construit pas, un hôpital qui reste vide et notre jeunesse privée d’espoir.
LE POTENTIEL MAGAZINE, MAI 2025




