TEMOIGNAGE D’EUGENE DIOMI NDONGALA, ANCIEN MINISTRE DES MINES DE LA REPUBLIQUE DEMOCRATIQUE DU CONGO : VOICI COMMENT KABILA ET LE GROUPE EMAXON DE DAN GERTLER ONT ORCHESTRE LA FAILLITE DE LA MIBA
En tant qu’ancien Ministre des Mines, issu de l’opposition non armée et du Dialogue Intercongolais, j’ai été confronté à l’un des chapitres les plus sombres de la gestion des ressources minières de notre pays.
Lorsque j’ai pris mes fonctions des mois après la signature du contrat Emaxon le 13 avril 2003, entre la Société Minière de Bakwanga (MIBA) et Emaxon Finance International Inc. – une entité pilotée par les négociants israéliens Chaim Leibovitz et Dan Gertler –, j’ai découvert un accord dissimulé avec une ingéniosité qui frôlait le complot d’état et non recensé dans la remise et reprise avec mon prédécesseur !
Ce contrat n’était pas seulement caché ; il était enterré dans les méandres administratifs, sous sceau de « secret d’état », forçant un ministre issu de l’opposition, comme moi, à déployer des acrobaties bureaucratiques – des demandes répétées, des pressions discrètes sur les fonctionnaires, et même des recours à des sources confidentielles – pour enfin en obtenir une copie et en décortiquer le contenu toxique et léonin.
Dès que j’ai analysé ses clauses, la nature léonine de cet accord m’a sauté aux yeux : un prêt de 15 millions de dollars US, décomposé en une tranche initiale de 5 millions pour le fonds de roulement et 10 millions supplémentaires pour des investissements ciblés comme l’acquisition d’une dragline, d’un NLK2 (nouvelle laverie de kimberlite) et des mesures de sécurité.
En contrepartie, Emaxon s’octroyait un monopole écrasant sur 88 % de la production diamantifère de la MIBA, avec des livraisons mensuelles obligatoires de 425 000 carats dès le départ, grimpant à 480 000 à partir de 2005, le tout à un prix bradé via une remise initiale de 5 %, ramenée à 3 % par des « addenda » perfides. Les 12 % restants, vendus via une « fenêtre » pour fixer un prix de référence, n’étaient qu’un leurre, insuffisant pour générer des liquidités viables ou suivre les fluctuations du marché d’Anvers. Le remboursement, étalé sur quatre ans à un rythme mensuel initial de 750 000 dollars – ajusté à 500 000 par la suite –, intégrait des coûts usuraires : une remise effective portant le taux annuel à 16 %, bien au-delà des normes bancaires à LIBOR + 3 %.
J’ai adressé des mémorandums, des notes et même quelques dénonciations publiques, la presse interposée, pour arrêter ce contrat mais rien n’arrivait à convaincre Kabila et Katumba Mwanke à arrêter cette hémorragie de la MIBA.
J’avait même dit, face à face, à l’ancien président Joseph Kabila que la MIBA serait tombé en faillite, s’il n’acceptait pas l’annulation de ce contrat ou, au moins, de le réviser en profondeur, mais la réaction de Kabila (connu pour ses silences légendaires) fut…mon limogeage… même en violation de l’Accord de Pretoria…
Techniquement, cet accord était une machine à saigner la MIBA à blanc.
Les fonds alloués n’ont pas servi à relancer la production comme prévu ; ils ont été dilapidés en période électorale, cantonnant l’entreprise à un recyclage stérile des rejets miniers. Les retards dans la livraison des équipements – le NLK2 opérationnel seulement en mai 2005, la dragline fin 2005 – ont forcé un remboursement prématuré sans retombées productives, creusant un gouffre financier insurmontable.
À long terme, comme je l’ai publiquement dénoncé dès 2003, ce contrat ne pouvait que précipiter la faillite de la MIBA : trésorerie exsangue, arriérés salariaux cumulés jusqu’à 26 mois pour 6 311 employés, arrêt total de production en octobre 2008, et un impact socio-économique dévastateur sur Mbuji-Mayi, où la MIBA assurait eau, électricité et soins de santé. Les pertes post résiliation, avec des méventes doublant la valeur d’achat, ont confirmé mes prédictions : un partenariat prédateur, qui recommandait sa suspension ou renégociation pour porter la part de la MIBA au moins à 25 % et réduire la remise.
J’ai clamé haut et fort que cet accord violait les principes de gouvernance minière, exploitant les faiblesses héritées des conflits armés et d’une gestion antérieure calamiteuse. Je voulais l’annuler purement et simplement, ou au minimum, le réviser pour protéger les intérêts nationaux.
Mais en guise de réponse, le Président Joseph Kabila et l’inamovible et tout puissant feu Augustin Katumba Mwanke, ont orchestré mon départ du gouvernement, avant que je passe à l’acte, une manœuvre politique évidente pour verrouiller cet accord et empêcher toute modification ultérieure.
Les signataires – Michel Haubert et Gustave Luabeya Tshitala côté MIBA, Chaim Leibovitz et Yaakov Neeman côté Emaxon – portent une responsabilité écrasante : ils ont validé un texte qui drainait les ressources sans contrepartie équitable, avec des liens troubles à des flux d’armes et à la corruption, comme l’illustre le mandat d’arrêt contre Jean-Charles Okoto Lolakombe pour blanchiment de 16 millions d’euros détournés de la MIBA.
Indirectement, l’État congolais, sous influence présidentielle, fut complice de cette impunité, favorisant des contrats qui aggravent la pauvreté et violent les droits économiques des travailleurs.
Il semble que Dan Gertler s’apprête à négocier une indemnisation de la MIBA, avec l’état congolais, ce qui serait une bonne chose !
Mon témoignage n’est pas seulement un récit ; c’est un appel à la reddition de comptes, pour que de tels accords léonins ne sabordent plus l’avenir de notre industrie minière, grâce à des complicités politiques.
Eugène DIOMI NDONGALA,
Ancien Ministre des Mines
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http://www.congovision.com/interviews/diomi_ndongala1.html




