Le président Joseph Kabila s’acharne sur « ses » prisonniers politiques / LE SOIR – COLETTE BRAECKMAN
Le président Joseph Kabila s’acharne sur « ses » prisonniers politiques
TÉMOIGNAGES
KINSHASA
DE NOTRE ENVOYÉE SPÉCIALE COLETTE BRAECKMAN
Lorsqu’en mars dernier, les portes de la prison de Makala se sont ouvertes devant quelque 4.000 détenus qui se sont volatilisés à travers la ville de Kinshasa, tous les prisonniers ne sont pas partis. Des hommes amnistiés depuis longtemps, qui auraient dû bénéficier des mesures dites « de décrispation » prévues par l’accord politique de décembre dernier, des hommes pudiquement appelés « cas emblématiques » bref, des prisonniers politiques, ont refusé de suivre le mouvement des « kulunas » et autres délinquants, préférant rester dans leur cellule. On peut les comprendre : ils craignaient, eux, d’être abattus pour « délit de fuite »… Les familles de ces détenus d’exception tenteront d’ailleurs de rencontrer Nikki Haley, l’envoyée spéciale du président américain Donald Trump, qui séjourne jusqu’à ce vendredi en République démocratique du Congo – lire ci-contre – et de lui faire parvenir un mémorandum.
Quelques heures avant cet éventuel rendez-vous, nous avons rencontré des proches de ces hommes aujourd’hui renvoyés dans l’ombre. Des noms connus qui, hier, faisaient les titres de la presse : le bâtonnier Jean-Claude Muyambo, fondateur de « Solidarité katangaise », l’un des hommes les plus en vue de Lubumbashi, Firmin Yangambi, avocat à Kisangani et auprès de la Cour pénale internationale, qui avait défendu Jean-Pierre Bemba et osé se porter candidat aux élections présidentielles de 2006, Eric Kikunda, arrêté en 2009, dont le principal tort était sa relation d’amitié avec Yangambi. Sur la base des révélations d’un complice présumé, Benjamin Olangi, Kikunda a été accusé de faire partie d’un mouvement insurrectionnel. Quoique amnistié, le fils de l’amiral Kikunda, un proche de Mobutu, est toujours détenu tandis que le témoin a été remis en liberté depuis longtemps.
Quant à Eugène Diomi Ndongala, originaire du Bas-Congo, il avait combattu avec Etienne Tshisekedi au nom du parti démocrate chrétien. Lors des élections de 2011, il s’était porté candidat aux côtés du leader de l’UDPS à la tête d’un rassemblement intitulé « majorité présidentielle populaire ».
Oncles, épouse, fils, les proches de ces détenus nous confient leur amertume : « Au nom de la “décrispation”, des rebelles du M23 qui avaient envahi et pillé Goma ont été remis en liberté. Et Gédéon Kyungu, le plus redoutable des chefs de milices au Katanga, accusé de crimes contre l’humanité, n’a pas seulement été libéré, mais il a fait un retour triomphal au Katanga et, depuis, à la tête de ses hommes, il a été vu au Kasaï. »
Nos interlocuteurs évaluent à plus de 200 les prisonniers politiques qui croupissent dans les différentes geôles du régime. « Croupir » n’est pas une figure de style : dans les prisons congolaises, les familles des détenus doivent veiller à l’alimentation, fournir les médicaments, payer les soins de santé éventuels. « Ils reçoivent une aspirine rien de plus, dit l’oncle de Me Muyambo, nos prisons sont des mouroirs. »
C’est de justesse que Patrizia Diomi, l’épouse du fondateur du parti démocrate chrétien, DC, a pu faire transférer son époux dans la clinique de Ndolo alors qu’il venait de faire un AVC (accident vasculaire cérébral). « Même aujourd’hui, alors que je paie les frais d’hospitalisation et les soins, il n’est pas tiré d’affaire, son état est stationnaire et il souffre de troubles cardiaques qui ont commencé en prison… »
Selon son épouse, Eugène Diomi a été particulièrement affecté par la gravité des accusations portées contre lui : « Il a été victime d’un montage grossier, malsain… Alors qu’il se trouvait avec moi, à notre domicile, il a été accusé de viols, sur la base du témoignage de deux femmes que l’on aurait vu sortir de son bureau ! Alors que le lendemain, il devait signer l’accord de fondation de la “majorité présidentielle populaire , MPP”, il a été emmené et mis au secret durant trois mois, accusé non seulement de viol mais aussi de tentative de coup d’Etat. »
Patrizia Diomi, qui a rencontré son époux alors qu’ils étaient tous deux étudiants en sciences politiques à Rome, est une battante. Chaque jour, cette mère de quatre enfants rend visite à Eugène, qui porte désormais une casquette à l’instar du vieux Tshisekedi et affiche vingt ans de plus que ses 52 ans. Elle a déjà remporté une bataille d’envergure : saisi du dossier, le Comité des droits de l’homme des Nations unies a ordonné d’annuler la condamnation irrégulière de son époux, de le remettre en liberté.
Rien n’y a fait, même les accords de la Saint-Sylvestre n’ont pas réussi à faire libérer Diomi, l’un des hommes politiques les plus expérimentés du pays. Amère, Patrizia Diomi relève que le non-respect de la décision du Comité des droits de l’homme de l’ONU n’a pas empêché le Congo d’être admis dans ce cénacle…
Les proches des quatre « prisonniers emblématiques » ont le sentiment que si les jugements des tribunaux, les pressions internationales, les accords politiques échouent à obtenir l’élargissement de détenus désormais célèbres, c’est que tous, pour l’une ou l’autre raison, semblent victimes de la vindicte personnelle du chef de l’Etat ! Comme si Joseph Kabila estimait qu’ils avaient trahi sa confiance. A Kisangani, par exemple, Firmin Yangambi, un avocat brillant et ambitieux, était un ami personnel de Kabila jusqu’au jour où il se jugea plus apte que ce dernier à postuler à la fonction présidentielle.
Le maintien en détention de ces prisonniers politiques, emblématiques ou non, n’est que l’un des aspects de la déliquescence de la justice congolaise, que le garde de Sceaux Tambwe Mwamba avait lui-même épinglée très lucidement à l’issue des Etats généraux de la justice qui s’étaient tenus en mai 2017. Il avait alors écrit que « l’arrestation et la détention sont devenues un instrument d’intimidation et de terreur contre les inculpés pour les amener à libérer leurs avoirs avec à la clé le fameux principe des 3 V : V comme Villa, V comme véhicule et V comme veste, que tous les magistrats cherchent à avoir, par l’exercice d’une profession qui fut jadis un apostolat… ».