Kinshasa, 15 mai 2025 : Quand un communiqué provincial défie la Constitution

Un communiqué de l’Exécutif provincial de Kinshasa, daté du 15 mai 2025, prétend imposer des restrictions radicales à la circulation dans la capitale congolaise.
Objectif affiché : désengorger une ville étouffée par les embouteillages. Mais derrière cette ambition, un scandale juridique se profile. En limitant la circulation des véhicules selon une règle alternée pair-impair basée sur les plaques d’immatriculation, ce texte administratif s’aventure sur un terrain miné : celui des libertés fondamentales.
Au regard du droit congolais, ce communiqué est une aberration légale, un affront à la Constitution et une provocation ouverte au principe de l’État de droit.
La Constitution, rempart intouchable
En République Démocratique du Congo, la Constitution de 2006, amendée en 2011, est limpide.
Son article 30 consacre la liberté de circulation comme un droit inaliénable : toute personne peut se déplacer librement sur le territoire national, sauf restriction « fixée par la loi ».
Ces quatre mots ne sont pas une formalité. Ils exigent un acte législatif, voté par le Parlement, pour justifier la moindre entrave à ce droit. Un communiqué provincial, aussi audacieux soit-il, n’est pas une loi. C’est un simple acte administratif, dénué de la force normative nécessaire pour limiter une liberté fondamentale. En s’arrogeant ce pouvoir, l’Exécutif de Kinshasa viole frontalement la hiérarchie des normes, pilier de tout système juridique digne de ce nom.
Des mesures hors cadre légal
Le communiqué impose deux restrictions phares : une interdiction de circuler pour les véhicules lourds (camions, citernes) hors des heures nocturnes (22h00-5h00) et une règle pair-impair alternant les jours de circulation selon le dernier chiffre des plaques d’immatriculation. Des exceptions sont prévues pour les véhicules officiels, diplomatiques ou d’urgence, mais cela ne change rien au fond du problème. Ces mesures, bien qu’ambitieuses, n’ont aucun ancrage juridique solide.
L’Exécutif provincial invoque vaguement la Loi n° 78-022 du 30 août 1978, le Code de la route congolais, comme base légale. Mais ce texte, qui régit la circulation sur les voies publiques, ne délègue aucun pouvoir explicite aux provinces pour imposer des restrictions aussi générales.
L’article 10 fixe la place des véhicules sur la chaussée, le Livre II autorise des signaux routiers pour des interdictions temporaires, et l’article 133 permet des mesures administratives en cas de danger immédiat.
Rien, absolument rien, ne légitime une règle pair-impair.
Sans une disposition claire ou un décret national, cette référence au Code de la route est un écran de fumée.
Compétence provinciale : une illusion d’autorité
La décentralisation, inscrite aux articles 201 à 204 de la Constitution, accorde aux provinces des compétences dans des domaines comme l’urbanisme, les transports locaux ou la sécurité. Mais la régulation de la circulation routière, lorsqu’elle touche à la liberté de circulation de tous les citoyens, relève de l’État central.
Restreindre un droit fondamental par un communiqué provincial est une usurpation de pouvoir.
« Les provinces peuvent gérer les routes, pas priver les gens de leur liberté de mouvement sans une loi nationale » en droit public. Le communiqué de Kinshasa, en prétendant agir seul, outrepasse ses prérogatives et s’expose à une censure inévitable.
Un communiqué sans valeur juridique
En droit congolais, un communiqué est un outil informatif, pas un instrument réglementaire.
Il peut annoncer une décision, mais n’a de force exécutoire que s’il s’appuie sur une loi ou un règlement préexistant.
Or, ici, il agit en franc-tireur. Restreindre la liberté de circulation – droit garanti par l’article 30 – exige une base légale explicite, votée par le législateur national. Un vague renvoi au Code de la route, sans article précis ni délégation de pouvoir, ne suffit pas. « C’est une tentative illégale de contourner le Parlement », à bien regarder. Un communiqué n’est pas une baguette magique pour suspendre la Constitution.
La règle pair-impair : un caprice juridique
La mesure la plus médiatisée, la règle pair-impair, est aussi la plus fragile.
Aucune disposition du Code de la route ne prévoit une circulation alternée basée sur les plaques d’immatriculation. Pas un mot dans la Loi n° 78-022 ne soutient cette idée.
Même les articles sur les signaux routiers ou la sécurité publique ne peuvent justifier une restriction aussi large et permanente sans signalisation explicite ou texte législatif ad hoc.
Cette règle, imposée sans fondement, est une atteinte disproportionnée à la liberté de circulation, susceptible d’être balayée par le moindre recours judiciaire.
Le Conseil d’État en embuscade
Face à ce dérapage, le Conseil d’État, gardien de la légalité administrative, tient la clé. Un recours pour excès de pouvoir pourrait faire tomber ce communiqué en invoquant trois griefs majeurs :
- Incompétence de l’auteur: les provinces n’ont pas le pouvoir de restreindre ainsi la circulation ;
- Violation de la loi: absence de base légale conforme à l’article 30 ;
- Atteinte aux droits fondamentaux: une restriction illégitime de la liberté de circulation.
Le Conseil d’État a déjà annulé des actes moins litigieux que celui-ci. Ce communiqué est une cible parfaite pour une censure. Les citoyens, associations ou entreprises lésées ont là une arme redoutable pour rétablir l’ordre constitutionnel.
Une intention louable, une exécution désastreuse
Nul ne conteste la gravité des embouteillages à Kinshasa.
L’intention de l’Exécutif provincial est compréhensible : libérer une ville asphyxiée par le chaos routier.
Mais la méthode est un fiasco juridique.
« On ne bricole pas les libertés fondamentales avec un communiqué », ironiserait n’importe quel constitutionnaliste.
Si le gouverneur veut agir, qu’il soumette un projet de loi au Parlement, avec débat public et procédure légale. Contourner cette étape, c’est jouer avec le feu de l’illégalité.
Verdict : un acte illégal voué à l’échec
Le communiqué du 15 mai 2025 de l’exécutif provincial est une chimère juridique. Sans référence ni signataire, il n’ est même pas une vrai acte juridique !
Il piétine l’article 30 de la Constitution, s’appuie sur une interprétation bancale du Code de la route et excède les compétences provinciales.
Sans une loi nationale pour le soutenir, il n’a aucune légitimité.
À Kinshasa, la lutte contre les embouteillages mérite mieux qu’un bricolage administratif : elle exige le respect scrupuleux de l’État de droit. La liberté de circulation ne se négocie pas sur un coin de table.
Eugène Diomi Ndongala
Constitution RDC:




