En RDC, dans l’État parallèle du M23 : “Ils font régner la terreur pour qu’on leur obéisse”. /COURRIER INTERNATIONAL, 23/10/25
Publié le 23 octobre 2025 à 05h

— Territoire de Walikale, RDC
Les hommes valides sont réquisitionnés toutes les semaines pour effectuer des travaux à des fins militaires. Les chefs de village doivent faire exécuter des ordres sous la menace. Les auteurs de délits sont emmenés de force et certains ne reviennent jamais. Le groupe rebelle M23, soutenu par le Rwanda, a beau s’être emparé de certaines parties du territoire de Walikale il y a seulement quelques mois, la vie des habitants de cette région de l’est de la République démocratique du Congo (RDC) connaît de grands bouleversements. “Ils sont chez nous, et nous devons faire avec, explique un habitant. Ils font régner la terreur pour qu’on leur obéisse.”
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Walikale est l’un des nombreux territoires où cherche à s’imposer le M23 depuis près de quatre ans. Des millions de personnes fuient les combats, et cette insurrection rappelle les guerres meurtrières qui ont ravagé la RDC à la fin des années 1990 et au début des années 2000. Mais, comme la plupart des autres zones rurales occupées par le M23 avec le soutien du Rwanda, ce territoire qui ne cesse de s’étendre a reçu peu d’attention médiatique par rapport aux grandes villes et zones urbaines prises par les rebelles. Et pourtant, la situation y est aussi très compliquée.
Un accord de paix qui n’a rien réglé
L’est de la République démocratique du Congo est en proie aux violences de groupes armés depuis plus de trente ans. Au début de 2025, le M23 a conquis de larges pans du territoire, notamment les villes de Goma et de Bukavu dans la région du Kivu. Kinshasa accuse le Rwanda de fournir un appui militaire au mouvement rebelle – ce que Kigali continue de nier. Les deux voisins ont conclu en juin un accord de paix, sous les auspices de l’administration Trump. Dans la foulée, le gouvernement de Kinshasa et les représentants du M23 signaient à Doha une déclaration réaffirmant “leur engagement en faveur d’un cessez-le-feu permanent”. Mais depuis, chaque camp accuse l’autre de multiples violations, et les combats se poursuivent sur le terrain.Afficher la suite
Majoritairement tutsi, le M23 justifiait au départ son insurrection – l’une des nombreuses qui secouent actuellement la RDC – par la rupture d’un accord de paix et la défense des populations tutsi de l’Est. Mais le groupe a depuis élargi ses ambitions, et s’est doté d’une vitrine politique qui comprend des personnalités nationales appelant à renverser le gouvernement du président Félix Tshisekedi, alors même qu’un processus de paix est en cours.
En début d’année, les rebelles, soutenus par des milliers de soldats rwandais, se sont emparés des plus grandes villes de l’est du pays : Goma et Bukavu. Et leurs habitants, plus de 1 million de personnes, sont désormais soumis à une violence diffuse et quotidienne. Mais loin des projecteurs médiatiques, les territoires de province comme Walikale, où les rebelles sont entrés pour la première fois en mars, ont également été bouleversés, même pour des communautés habituées à des groupes armés brutaux et à des gouvernements répressifs.
Travail et incorporation forcés

Ces changements sont particulièrement intenses dans les régions de Kashebere et de Kibati. Portes d’entrée vers le territoire voisin de Masisi, elles offrent un accès stratégique à l’ensemble du vaste territoire de Walikale, parsemé de centaines de villages et de gisements de minerais. Les habitants de la région expliquent être contraints d’effectuer du travail forcé – ce qu’ils n’avaient pas connu sous les précédentes administrations, et qui a poussé de nombreux hommes à fuir en s’exilant dans les régions sous la protection de l’armée congolaise.
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À Kikamata 2, un village situé entre Kashebere et Kibati, les habitants sont réquisitionnés par les rebelles toutes les semaines pour aller chercher du bois, de l’eau et creuser des tranchées dans des endroits stratégiques. “Ils convoquent les chefs de village lorsqu’il y a du travail à faire”, raconte un habitant, qui, comme toutes les sources citées dans cet article, a souhaité garder l’anonymat pour des raisons de sécurité. “Ils les menacent pour qu’ils fassent exécuter leurs ordres.”
“Nous sommes devenus leurs larbins.”
Selon un militant des droits humains qui a quitté Kashebere pour se réfugier dans une zone tenue par le gouvernement, les habitants accusés de délits et de crimes sont souvent arrêtés sans autre forme de procès et torturés en prison. “Ils mettent les gens dans des fosses remplies d’eau pour les punir.” Et d’ajouter que la plupart de ceux qui sont arrêtés ne reviennent jamais. “On pense qu’ils les tuent ou qu’ils les envoient dans des centres d’entraînement pour qu’ils puissent se battre pour eux, c’est du recrutement forcé.”
De nombreux militants de la société civile et des journalistes présents dans les parties du territoire de Walikale tenues par le M23 ont dû partir pour des raisons de sécurité. D’autres continuent de documenter les exactions en secret, dans l’espoir de pouvoir publier un jour ces témoignages. “Nous continuons de rassembler les preuves de ces abus afin de pouvoir produire un compte rendu détaillé, explique un autre militant. Il sera remis aux autorités judiciaires afin qu’un jour les auteurs de ces crimes puissent répondre de leurs actions.”
Collecte de taxes
Selon les chefs coutumiers, les rebelles du M23 n’ont pas réformé le système administratif local comme ils l’ont fait dans d’autres territoires qu’ils contrôlent, où les dirigeants locaux auraient été remplacés. Pourtant, un chef de village raconte que lui et ses collègues doivent obtenir l’approbation du groupe armé avant de prendre toute décision importante. Ils vivent souvent dans la peur d’être remplacés par des personnalités proches du mouvement.
Un ancien contrôleur des impôts, aujourd’hui au service du M23, raconte qu’à Kashebere et Kibati tous les impôts sont désormais versés à l’administration rebelle. “La population est contrainte de payer sous peine d’arrestation et de sanctions”, ajoute-t-il
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Les rebelles ont introduit des taxes foncières dans les zones rurales où il n’y en avait pas auparavant, et ont doublé les frais de transport du bétail de Masisi à Walikale. Un membre d’une association locale de bouchers raconte que l’augmentation des impôts s’est répercutée sur les consommateurs, et que les familles achètent désormais moins de viande. Un manque à gagner pour les commerçants qui est aussi synonyme de carences alimentaires pour la population.
Le contrôleur des impôts dit ne pas avoir le choix : il doit “suivre leurs instructions” et collecter ces nouvelles taxes, qui font partie d’un système fiscal plus large destiné à financer le M23, en plus des bénéfices de l’extraction minière et du soutien du gouvernement rwandais.
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Selon des responsables de l’ONU, Kigali est à la manœuvre derrière les opérations du M23. Et d’après l’ONG de défense des droits humains Human Rights Watch, au regard du droit international le Rwanda est une puissance occupante et est donc responsable des exactions commises par le M23. Le Rwanda soutient des groupes armés en RDC depuis que les milices hutu y ont trouvé refuge après le génocide des Tutsi rwandais en 1994. Le pays justifie son interventionnisme par des questions de sécurité, même si son soutien au M23 est surtout motivé par des questions de géopolitique régionale et des ambitions économiques.
Des malades qui dorment à même le sol
La présence du groupe armé à Walikale a aussi de bons côtés. Plusieurs personnes interrogées ont tenu à souligner que l’état des routes s’était grandement amélioré. S’il s’agit principalement de faciliter la circulation des véhicules du M23, ces communautés rurales sont moins enclavées qu’auparavant. Selon un habitant de Kashebere, la rénovation de la route reliant la région à Goma (la capitale de la province du Nord-Kivu) a considérablement amélioré le quotidien des populations, car les personnes malades peuvent désormais accéder plus rapidement aux centres de santé.
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Et les agriculteurs se réjouissent de pouvoir livrer plus facilement leurs marchandises dans les marchés. “Avant, nos récoltes pourrissaient sur pied dans les champs, faute de routes, explique un agriculteur. Aujourd’hui, la route est en bien meilleur état et le transport est grandement facilité. Les acheteurs viennent nous voir directement sur place. Nous réussissons à vendre tous nos produits.”
Cependant, en dehors des travaux routiers, les rebelles n’investissent pas dans les services publics, et ce malgré le retrait progressif des organisations humanitaires internationales à cause des coupes budgétaires des gouvernements américain et européens. Or la situation sanitaire est catastrophique.

Dans un important centre de santé de la région, il y a vingt lits, mais les patients affluent à cause des épidémies de choléra et de malaria, expliquent des médecins. Certains malades doivent dormir à même le sol ou rentrer chez eux sans avoir été soignés. Il y a également une pénurie de médicaments depuis que les stocks ont été pillés par les deux camps lors de récents affrontements dans la région. “Et ce qu’ils n’ont pas pu emmener, ils l’ont détruit”, explique l’administrateur d’un de ces centres. Quant aux associations humanitaires qui travaillent avec eux, leur personnel a dû partir pour des raisons de sécurité.
Certains établissements de santé étant contraints de fermer, les malades et les blessés doivent souvent parcourir de longues distances à la recherche de cliniques ouvertes et approvisionnées en médicaments. Tous n’y parviennent pas. Un patient atteint d’un cancer est récemment mort sur la route, alors qu’il était transporté sur un brancard de fortune. De plus en plus de femmes enceintes accouchent également sur le chemin de la maternité.
“Un jour, ce sera peut-être notre tour de fuir”
La situation est également critique pour les personnes déplacées qui ont trouvé refuge à Walikale. La plupart ont fui les affrontements entre le M23, l’armée congolaise et les milices progouvernementales dans la localité voisine de Masisi. Plusieurs déplacés disent n’avoir reçu aucune aide des agences humanitaires internationales. “Pour avoir à manger, nous devons nous mettre au service des habitants”, explique un père de sept enfants venu de Masisi.
“Parfois nous sommes exploités, mais nous n’avons pas le choix, sinon nos enfants meurent de faim.”
Un déplacé d’une quarantaine d’années a récemment été tué à Kibati alors qu’il travaillait dans un champ entre deux affrontements entre le M23 et les milices progouvernementales, raconte sa femme. Elle ne sait pas comment il est mort. Son corps a été retrouvé dans un étang par d’autres personnes revenant des champs. “Nous avons fui notre village ensemble, mais je vais devoir rentrer sans lui”, raconte-t-elle en pleurs.

Les habitants des régions où se trouvent les personnes déplacées (Kashebere, Kibati, Muba et Mikumbi) ont bien connu la guerre, et c’est pourquoi ils n’hésitent pas à partager leurs maigres ressources avec les personnes déplacées et à les recueillir chez eux. “Nous avons accueilli d’autres familles déplacées de Masisi, raconte un habitant de Kashebere. Nous sommes prêts à les aider, car dans la vie on ne sait jamais, un jour, ce sera peut-être notre tour de fuir la région et de nous retrouver chez eux.”
Un autre habitant a choisi d’illustrer avec un proverbe l’esprit de solidarité qui permet à chacun de mieux supporter l’occupation rebelle : “Quand elles sont toutes sur le même arbre, les chenilles ne peuvent survivre qu’en se partageant les feuilles.”
Les auteurs des articles de cette série de reportages en RDC ont signé sous pseudonyme pour des raisons de sécurité. L’artiste qui en a réalisé les illustrations a choisi de rester anonyme.
Source de l’article
https://www.courrierinternational.com/notule-source/new-humanitarian-geneve




