La Manipulation Monétaire en RDC : Une Appréciation Artificielle du FC qui Masque une Crise profonde
En cette période critique pour l’économie congolaise, où la stabilité monétaire est brandie comme un trophée par les autorités, il est impératif de démêler le vrai du faux. En tant qu’ancien Ministre de l’Économie et des Finances, ayant travaillé pendant les tumultes des transitions post-conflit, je ne peux rester silencieux face à ce que je qualifie de manipulation administrative du taux de change.
L’appréciation récente du franc congolais (FC) face au dollar américain (USD) – une hausse de plus de 6,7 % en septembre 2025, portant le taux à environ 1 USD pour 2 707 CDF au 25 septembre – s’est accélérée davantage, avec un taux actuel, au 7 octobre 2025, de 1 USD pour 2 450 CDF!
Cette mesure, loin d’être ancrée dans des fondamentaux solides, expose les ménages et les entreprises à des perturbations majeures, amplifiées par un manque criant de maîtrise des prix des biens et services.
Permettez-moi de poser les bases techniques de cette analyse. L’appréciation du FC équivaut à une dépréciation de l’USD sur le marché local, un phénomène qui, en théorie, devrait booster le pouvoir d’achat des Congolais en rendant les importations moins onéreuses.
Pourtant, cette dynamique est artificielle :
elle repose sur des outils monétaires restrictifs déployés par la Banque Centrale du Congo (BCC), tels que l’augmentation des réserves obligatoires des banques pour drainer la liquidité en FC, un resserrement du crédit (moins de crédits pour les entreprises, qui souffrent déjà de la limitation des crédits des banques) et une amélioration temporaire de la collecte fiscale (plus de taxes).
À cela s’ajoutent des réserves de change gonflées à 7,44 milliards USD mi-septembre 2025, couvrant à peine trois mois d’importations – un coussin qui reste fragile dans une économie dollarisée à plus de 80 %.
Des critiques, pointent du doigt des pratiques populistes, telles que des retards intentionnels dans le paiement des salaires publics pour créer une rareté artificielle de FC, forçant ainsi sa hausse.
Ce n’est pas une appréciation « naturelle », issue d’une production nationale accrue ou d’un équilibre macroéconomique, mais une intervention administrative qui inverse temporairement une tendance à la dépréciation du FC face au dollars/US.
Le cœur du problème réside dans l’absence totale de maîtrise des prix intérieurs.
Dans une économie comme la nôtre, dominée par l’informel et marquée par une « stickiness » (rigidité) des prix – ces derniers étant rigides à la baisse en raison de la spéculation et du manque de régulation –, l’appréciation du FC ne se traduit pas par une réduction des coûts pour les consommateurs.
Les importations, payées en USD, deviennent théoriquement moins chères en FC, mais les commerçants et distributeurs ne répercutent pas cette baisse dans l’économie. À Kinshasa, par exemple, les prix au marché demeurent élevés malgré une hausse de 9,1 % du FC depuis le 19 septembre 2025, créant un déséquilibre flagrant dans les budget des ménages.
Le Président Tshisekedi lui-même a dû ordonner des mesures contre la spéculation le 6 octobre 2025, reconnaissant implicitement ce dysfonctionnement.
Historiquement, cette asymétrie est évidente :
lors des dépréciations passées, comme en 2023 où le FC a perdu 21,8 % de sa valeur, l’inflation a explosé à 19,9 %, avec une hausse immédiate des prix. Inversement, les baisses ne suivent pas, laissant les ménages piégés dans un cycle d’inégalités. Cette manœuvre, que l’on peut qualifier techniquemen d’ « open market policy » menée par la BCC sans encadrement adéquat du Ministère de l’Économie en matière de prix des biens et services, est particulièrement néfaste.
Elle amplifie les vulnérabilités sans générer de bénéfices tangibles, car les prix des services fondamentaux comme les transports en commun et l’essence ne suivent curieusement pas l’évolution du taux de change, restant stables malgré l’appréciation du FC.
Par exemple, le litre d’essence à Kinshasa oscille encore autour de 2 990 FC, sans baisse significative proportionnelle à la force du FC, tandis que les tarifs des transports en commun, n’ont pas été ajustés à la baisse non plus !
Les conséquences pour les ménages sont dévastatrices et immédiates.
Dans un pays où une large frange de la population – notamment dans le secteur informel mais aussi celui privé – perçoit des revenus en USD, cette dépréciation artificielle érode le pouvoir d’achat : les économies en dollars couvrent moins de dépenses locales, sans que les prix des biens essentiels ne diminuent. Il sied de souligner une perte brusque des économies des citoyens et une chute libre du pouvoir d’ achat qui perturbe les transactions quotidiennes, générant confusion et insécurité.
À cela s’ajoute une volatilité des taux entre cambistes, magasins et stations-service, loyers, compliquant les achats les plus basiques.
Sans une baisse effective des prix, même les fonctionnaires payés en FC – théoriquement bénéficiaires – ne voient pas d’amélioration réelle de leur niveau de vie.
Cela risque d’attiser des tensions sociales explosives, dans un contexte où l’inflation persistante sur les denrées alimentaires et le carburant exacerbe la vulnérabilité des ménages, comme observé lors de fluctuations passées où l’épargne en USD servait de bouclier.
L’absence d’encadrement par le Ministère de l’Économie rend cette « open market policy » encore plus préjudiciable pour les ménages, qui supportent seuls le poids d’une appréciation qui ne se répercute pas sur les coûts vitaux comme l’essence les transports et les biens de première nécessité, maintenant une pression inflationniste déguisée.
Du côté des entreprises, l’impact est tout aussi percutant, menaçant la stabilité économique globale.
Les importateurs pourraient en principe profiter d’un coût réduit des intrants, mais le resserrement du crédit imposé par la BCC étouffe les investissements privés, malgré une demande domestique déjà chroniquement insatisfaite par les banques commerciales.
Les agents de change rapportent un ralentissement des activités dû à l’hésitation des clients, tandis que les exportateurs – particulièrement dans le secteur minier – souffrent d’une perte de compétitivité internationale, avec des exportations en chute de 18 % d’ici juillet 2025 en raison de suspensions sur le cobalt.
Sans maîtrise des prix, les chaînes d’approvisionnement deviennent chaotiques, favorisant la spéculation et les perturbations sectorielles.
Des analystes avertissent d’une « stabilité précaire » :
un renversement brutal du taux – par une reprise de l’USD ou une érosion des réserves – n’est pas à exclure et il pourrait déclencher une volatilité accrue, compromettant la croissance projetée et exposant les entreprises à des risques systémiques.
Cette situation n’est pas inévitable ; elle découle d’une politique monétaire cosmétique qui privilégie l’apparence à la substance.
Pour inverser la tendance, il faut promouvoir une appréciation naturelle du FC via une augmentation de la production nationale, une fiscalité productive mais pas asphyxiante et une dédollarisation progressive, sans toucher aux crédits des banques aux entreprises, déjà chers et insuffisants.
J’ appelle à une prise de conscience urgente, pour démanteler ces manipulations et restaurer une économie effectivement au service du peuple.
Sans cela, nous risquons non seulement une crise économique, mais aussi une déstabilisation sociale profonde.
L’heure est à l’action responsable, non à l’illusion.
Eugène Diomi Ndongala,
Démocratie Chrétienne.




