Et si François Hollande nous a mentis à Dakar en prétextant promouvoir le respect des constitutions ? /DESK WONDO – GERMAIN MAKINU

Et si François Hollande nous a mentis à Dakar en prétextant promouvoir le respect des constitutions ?
Par Germain Nzinga Makitu
« Le gouvernement français appelle au respect des ordres constitutionnels et des aspirations des peuples… Là où les règles constitutionnelles sont malmenées(…), là où l’alternance est empêchée, j’affirme, ici, que les citoyens de ces pays sauront toujours trouver un soutien dans l’espace francophone ». Telle est la quintessence des paroles de François Hollande qui ont fait l’effet d’une bombe dans l’opinion africaine. Le peuple des internautes y est allé à cœur joie dans ses commentaires et interprétations, louant l’homme politique français d’être le porte-parole de ces africains sans-voix, brimés par la volonté de leurs dirigeants, obsédés en majorité par l’idée de rempiler au-delà de leur nombre de mandats prévus par l’ordre constitutionnel. Pour ma part, je suis loin de partager cet optimisme béat et aveugle pour des raisons que je m’en vais vous expliquer dans les lignes suivantes.
- Apprenons à lire l’histoire et à en tirer des leçons…
Lorsque le 20 juin 1990, le président François Mitterand convoqua à La Baule, station balnéaire de la côte bretonne, une réunion des chefs d’Etat africains, il invita ses hôtes à développer le processus de démocratisation dans leurs pays respectifs. Il alla jusqu’à subordonner l’aide financière à l’introduction du multipartisme et aux efforts qui seront accomplis par chaque gouvernement pour conduire le peuple vers plus de liberté. Avec un regard critique, on s’aperçut que le président socialiste français n’avait pas changé d’un iota la sacro-sainte règle de la défense constante des intérêts français. Pire, François Mitterand continua à renforcer les réseaux de la Françafrique et à s’accoquiner avec les vieilles oligarchies qui suçaient le sang des africains, laissant les anciens comptoirs et les multinationales de l’Hexagone continuer leur pillage sous le silence tacite des dinosaures tels que Houphouët-Boigny, Omar Bongo ou Mobutu qui en contrepartie continuèrent à bénéficier de son appui. C’est le même Mitterand qui brisera le rêve de démocratisation d’une des colonies françaises en s’en prenant à Thomas Sankara qui sera assassiné avec sa bénédiction via des nègres de services.
Revenons à l’actualité récente, nous avons encore frais en mémoire le duel acharné que ce même François Hollande a livré contre le président Joseph Kabila au XIVe Sommet de la Francophonie qui s’était tenue en 2012 à Kinshasa, la capitale rdcongolaise. Bien avant ce sommet, François Hollande qualifiait de tout à fait inacceptable la situation politique au Congo sur le plan de droits de l’Homme, de la démocratie et de la reconnaissance de l’opposition. Il conditionnait ainsi son arrivée à Kinshasa par la libération des hommes politiques, notamment Eugène Diomi Ndongala, et de la reprise du procès de Floribert Chebeya, un défenseur des Droits de l’Homme, lâchement assassiné.
Pendant que tous les activistes de Droits de l’Homme et la société civile congolaise applaudissaient le premier pas africain de ce président nouvellement élu par le peuple français, ils étaient loin de se douter que son discours ne fut que de la simple propagande, un discours officiel qui donne les apparences de défendre des droits humains pendant qu’au fond des choses il cache un agenda officieux plus important.
En effet, à peine les lampions s’étaient-ils éteints sur le 14e sommet de Kinshasa, le président français était devenu amnésique. Il ne parlera plus jamais de la liberté des prisonniers politiques (Eugène Diomi libéré avant son arrivée à Kinshasa sera réincarcéré quelques mois plus tard) ni du procès de Floribert Chebeya dont les assassins continuent à vaquer librement à leurs occupations quotidiennes.
Pire, le mercredi 21 mai 2014, soit une année plus tard, le même Joseph Kabila élu en 2011 via des fraudes massives et hier vilipendé publiquement par François Hollande, sera reçu sur le perron de l’Elysée pour parler en interlocuteur de la crise centrafricaine et … de la coopération bilatérale.
Il en a fallu de peu pour comprendre que ni François Mitterand ni François Hollande encore moins le gouvernement français ne travaillent pour la démocratisation de l’Afrique. Ils travaillent tous pour les intérêts de leurs peuples qui les ont élus. Dans ces conditions, les déclarations politiques sortant de leurs bouches doivent être jaugées au prisme des intérêts qu’ils défendent. Ils peuvent changer d’habits et de maquillages, adopter une nouvelle ligne de conduite selon le contexte du moment, avec le seul et constant défi qui vaille : sauvegarder ou encore accroître les intérêts de groupes d’intérêts dont ils ont reçu mandat. Et ces intérêts, croyez-moi, ils les défendent au mieux avec une Afrique qu’ils veulent anarchique et réfractaire à la culture de la démocratie.
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Stratégie de changer des jokers tout en pérennisant le système…
Si l’Afrique doit se démocratiser, les vrais conseils ne viendront jamais de l’ordre des dominants qui y perdraient énormément de leurs avantages. Cessons de louer les discours de Hollande et de croire qu’il est en confrontation directe contre les dirigeants africains qui veulent changer des constitutions. Joseph Kabila est leur création ! Il règne par défi sur un peuple martyrisé par la seule volonté de ses maitres qui lui en donnent les moyens et l’opportunité ! Et dans cette triste naïveté qui nous caractérise, si jamais demain il quitte son poste parce que devenu un orange trop pressée et qui ne donne plus satisfaction, il sera bel et bien remplacé par un autre joker choisi par la volonté néo-impériale et répondant au profil de nègre de service.
Ce à quoi ils tiennent, ce que les dictateurs restent en place ou qu’ils soient remplacés par d’autres de même vocation prédatrice. Ainsi lorsque dans le passé ils ont vu venir le vent de la révolution secouer la Tunisie comme le Burkina Faso, deux pays pris en modèles par le président français lors de son discours à Dakar, les puissants de ce monde ont tout fait de précéder ces événements en imposant leur projet à eux. Leur règle d’or est la suivante : Ils feignent de prendre partie pour les peuples qui se rebellent contre l’ordre inique mais en réalité c’est pour mieux accompagner les changements et imposer des chefs acquis à leur cause et à la défense de leurs intérêts. Ce qui importe, ce n’est pas le respect de l’ordre constitutionnel que François Hollande feint de défendre. Que nenni ! Ce que ses déclarations d’intention visent, c’est en réalité nous caresser dans le sens de poils, nous endormir sur les faux lauriers et nous ôter la vigilance. Le jour, ils nous prêchent des belles paroles et la nuit ils participent au plan machiavélique d’imposer une démocratie à géométrie variable, celle que je nommais une démocratie indigénisée ou tropicalisée[1] qui continue à entretenir sciemment le désordre politique dans les pays africains classés éternellement par eux dans la catégorie des pays marginalisés [2]mais un désordre créé et organisateur pour favoriser des intérêts extérieurs au grand dam du peuple qui se voit voler sa volonté souveraine.
Ceux qui ont suivi de très près le mode de scrutin qui a porté Michaëlle Jean au poste de secrétaire générale de l’OIF, se souviendront des modes pour le moins contraires au statut de l’OIF par lesquels cette canadienne a été élue. Le samedi 20 novembre 2014, pendant que les 80 présidents et chefs de gouvernement étaient réunis à Dakar pour l’élection du successeur d’Abdou Diouf, François Hollande procédera à une rencontre à huis clos avec le premier ministre canadien Stephen Harper, le président Denis Sassou Nguesso et l’ivoirien Alassane Ouattara. C’est ce petit groupe qui désignera par consensus et à huis clos Michaëlle Jean sans qu’il soit jugé nécessaire par le maître des céans de passer au vote[3]. Une victoire à l’arraché et qui doit nous pousser à réfléchir sur les ressorts internes de ce choix.
La leçon à tirer est claire : au sein de la grande famille francophone, c’est la France qui décide et les Etats africains obtempèrent. Comme le disait si bien un internaute le lundi dernier, ils cherchent à la succession de Abdou Diouf, un nègre servile, un nègre qui ne dira rien lorsqu’ils iront bombarder, piller ou tronquer les élections en Afrique… Et Michaëlle Jean dont on répète avec insistance des origines haïtiennes répond bien à ce profil des dirigeants qui s’en fouteront lorsqu’une puissance du Nord se décidera d’aller tuer les africains et de piller ses richesses, soit directement soit par le biais d’un sous-traitant africain acquis à la cause extérieure. Les africains n’ont qu’à obéir…
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Michaëlle Jean ou le jeu de caméléon anglo-saxon…
L’élection de Michaëlle Jean nous rappelle un autre scrutin cavaleresque qui nommera le dimanche 15 juillet 2013 madame Nkosazana Dlamini Zuma à la tête de commission de l’Union africaine contre le président sortant Jean Ping battu à plate couture. Beaucoup de journalistes présents dans la salle ont souligné les pressions mystérieuses et des intimidations qui pesaient sur les chefs d’Etat africains.[4] Dans l’élection de cette ressortissante sud-africaine, il appert de lire dans la déconfiture du françafricain Jean Ping, la victoire de l’anglo-saxonne et le nouveau tournant que prendra désormais la conduite de la politique continentale de l’Afrique plus tournée vers Washington que vers Paris.
Quel est le lien entre le scénario de l’Union africaine avec l’élection de madame Michaëlle Jean ? Il réside dans deux faits qui échappent au regard du commun des mortels. Le premier indice, c’est la vérité que dans la nouvelle reconfiguration géopolitique de l’Afrique, les responsables soit des Etats soit des Organisations internationales de l’Afrique sont de plus en plus des citoyens très proches de la sphère anglo-saxonne. Voyez l’après-printemps arabe, de la Tunisie en Egypte en passant par la Lybie, les nouveaux chefs d’Etat ont des accointances avec l’Oncle Sam. A côté de l’ivoirien Alassane Ouattara qui a travaillé dans les Institutions Financières internationales avec siège aux USA ou du président malien intérimaire, le capitaine Amadou Sanogo qui a été formé à l’école américaine, la dernière révolution burkinabé en date a été récupérée par le camp américain dont le lieutenant-colonel Zida formé en Amérique du Nord constitue la pièce maîtresse. Toutes les tergiversations qui ont conduit le Burkina Faso à connaitre trois chefs d’Etat (Honoré Traoré, Yacouba Isaac Zida et Michel Kafando) en l’espace d’un petit mois sont les signes évidents que les règles de jeu sont dictées du dehors, par ceux-là mêmes qui se livrent une lutte sans merci d’hégémonie géopolitique par le biais d’une élite africaine instrumentalisée à souhait. Ce sont les mêmes qui nous donnent de belles leçons de démocratie au moment où sur le théâtre des opérations ils font tout le contraire qui sacrifie l’avenir de l’Afrique sur l’autel de leurs intérêts.
C’est donc dans cette nouvelle configuration américanophile de l’Afrique qu’il faut comprendre la nomination de la canadienne à la tête de l’OIF. Le passé politique de la nouvelle secrétaire générale de l’Organisation Internationale de la Francophonie est en soi très éloquent. Canadienne d’origine haïtienne âgée de 57 ans, ancienne journaliste de radio, Michaëlle Jean a longtemps exercé les hautes fonctions politiques de Gouverneure générale de Canada avant d’être nommée au poste de secrétaire générale de l’OIF.
Pour ceux qui ne le savent pas, le canada est une monarchie constitutionnelle en même temps qu’une démocratie parlementaire. Sa Majesté la reine Elisabeth est la souveraine et le Chef d’Etat du Canada. Michaëlle Jean en tant que Gouverneure générale du Canada a travaillé comme le représentant de la Reine du Royaume Uni au Canada. A ce titre elle a exercé quotidiennement et pleinement les tâches du Chef d’Etat, non seulement au Canada mais également à l’étranger. Conformément aux lettres patentes, comme gouverneure générale, elle a été aussi le Commandant en chef du Canada.
Cette ancienne Gouverneure du Canada est ni plus ni moins collaboratrice directe du Royaume-Uni et donc fonctionnaire du bloc anglo-saxon. C’est au sein de ce bloc que Washington a joué subtilement pour contrer la France en utilisant au besoin des francophones hostiles à la France[5] jadis il l’a fait en nommant à des postes hautement stratégiques des canadiens tes que Roméo Dallaire, Maurice Baril, la juge Louise Arbour ou encore l’ex-premier ministre Raymond Chrétien qui lui après son mandat de chef de gouvernement s’était reconverti en envoyé spécial du secrétaire de l’ONU pendant la crise des réfugiés à l’Est du Zaïre. Toutes ces têtes pensantes canadiennes jouant le jeu de caméléon, affichant leur apparente volonté de collaborer avec la France alors qu’ils se masquent sous des couleurs yankee. Elles sont toutes à la solde des Etats-Unis. Leur rôle consiste à tenir tête à la France[6]. Je me demande sincèrement ce que poursuit François Hollande en soutenant la candidature de cette femme à l’OIF jusqu’à l’imposer à la tête de cette organisation qui est le pendant du Commonwealth. Quel deal politique a-t-il pu signer pour franchir cette ligne rouge ? Si l’OIF est infiltrée jusqu’à son sommet, il ne faudra plus rien attendre d’elle, déjà qu’elle ne s’est jamais montrée efficace à prévenir des conflits ou à les résoudre quand ils ont éclaté.
Je termine ma réflexion par un autre fait soulevé dans mon livre et qui est par ailleurs corroboré par des chercheurs sérieux. De quoi s’agit-il ? Dans l’hécatombe de la région des Grands Lacs et de bien d’autres conflits dans le monde comme en Irak, le Canada est très entreprenant mais d’une manière discrète soit via sa collaboration discrète avec son puissant voisin américain soit via l’implication des multinationales anglo-saxonnes très connues sur lesquelles Patrick Mbeko a fourni force détails dans une récente publication[7]. Il faut être très naïf pour admettre qu’un ancien responsable de cette sphère géopolitique, en l’occurrence Michaëlle Jean, puisse se convertir du jour au lendemain en amie de l’Afrique et en défenseur de ses droits. Ouvrons les yeux : le choix de la canadienne entre dans le schéma des calculs d’occupation de terrain, de l’infiltration du pré carré français pour l’affaiblir de l’intérieur, le tout s’inscrivant dans un vaste plan d’occupation et de domination de zones d’influence jusque là sous contrôle de l’Hexagone. Il ne s’agit plus pour la puissance américaine de se faire des coups tordus l’une conte l’autre mais d’entrer dans l’organisation de l’adversaire pour mieux l’assommer.
Le drame, c’est que François Hollande en prétextant le respect de l’ordre constitutionnel a menti à l’opinion africaine parce qu’en réalité il a travaillé au sein même de l’OIF contre le respect de cet ordre en modifiant dans les coulisses les règles de jeu telles que stipulées par les Statuts de l’OIF sur la modalité d’élection de son secrétaire général par l’assemblée générale. Au lieu d’un vote par tous les trente chefs d’Etat présent au sommet, il a préféré choisir par consensus la canadienne dans un club très fermé des trois chefs d’Etat et d’un chef de gouvernement et cela en aparté et à huis clos pour imposer sa candidate.
D’autre part, en s’inscrivant dans le schéma canadien, François Hollande s’est menti à lui-même et a menti au prestige de la France déjà très entamé dans ce duel féroce que les Etats-Unis livrent à son pays depuis la fin de la guerre froide. J’espère que le mandat de cette canadienne ne donnera pas raison à Eric Zemmour qui a pris le courage entre ses mains pour annoncer en mode prémonitoire le suicide français[8], avec une élite française qui ne réussit plus d’imposer ses idées, sa vision du monde et sa langue à un univers pâmé. Bien au contraire, la même élite crache sur sa tombe et piétine son cadavre fumant. Cette nouvelle classe politique française, avec un air faussement affectée, observe la France qu’on abat et écrit les dernières pages de son histoire. Triste scène d’une lente agonie !
Et pour ma part je me remets à m’interroger sincèrement à quoi bon continuer à parler la langue du vaincu! A quoi bon composer avec un partenaire qui à la fois me ment et se ment à lui-même en s’affaiblissant ! Plaise au ciel que les chefs d’Etat africains dupés au dernier sommet de l’OIF sachent lire et interpréter les signes des temps, et puissent faire un dernier baroud d’honneur : celui de faire prendre à leurs peuples la direction qu’emprunte la nouvelle dynamique de l’histoire du 21ème siècle avant que le vainqueur n’écrase son ennemi et les amis de son ennemi…
GERMAIN NZINGA MAKITU, Rome
[1] G. NZINGA MAKITU, Stratégies de domestication d’un peuple. BMW comme armes de distraction massive, Paris, Edilivre, 2014, pp.224-228.
[2] Cela fait partie de la realpolitik américaine : placer l’Afrique dans la catégorie des « outsiders », c’est-à-dire des exclus contrairement aux « insiders » que sont les pays émergents de l’Asie et de l’Amérique latine. Cfr M. DIOUF, L’Afrique dans la mondialisation, Paris, L’Harmattan, «2002, pp. 159-162.
[3] Ce qui va à l’encontre des dispositions statutaires de l’OIF fixées depuis la Déclaration du Sommet de Hanoi en 1997.
[4] Pour plus d’amples explications, lire G.NZINGA MAKITU, op.cit.., pp.279-380.
[5] P. MBEKO, Le Canada dans les guerres de l’Afrique centrale. Génocides et pillages des ressources minières du Congo par le Rwanda interposé, Paris, Le Nègre éditeur, 2012, p. 236.
[6] Ibid.
[7] Id, Le Canada et le pouvoir tutsi du Rwanda. Deux décennies de complicité criminelle en Afrique centrale, Paris, Editions de l’Erablière, 2014, pp. 161-245.
[8] E. ZEMMOUR, Le suicide français, Paris, Albin Michel, 2014.