LA COMMUNAUTE INTERNATIONALE ACCENTUE LA PRESSION APRES LA PUBLICATION DU CALENDRIER ELECTORAL: LE PRÉALABLE DE LA DÉCRISPATION POLITIQUE UNANIMEMENT POSÉ /LA LIBRE AFRIQUE

RDC : la communauté internationale accentue sa pression après la publication du calendrier électoral
Par Adrien Seyes
Suite à l’annonce le weekend dernier en RDC d’un nouveau calendrier électoral fixant la date des élections au 23 décembre 2018, la communauté internationale accentue sa pression sur le régime de Joseph Kabila afin que cette échéance soit cette fois-ci respectée.
Kinshasa pensait que la pression diplomatique se relâcherait une fois le calendrier électoral publié. Peine perdue, c’est l’inverse qui s’est produit. Suite à l’annonce dimanche dernier par la Commission électorale nationale indépendante, l’organe chargé de la gestion des élections en RDC, de la date des scrutins législatifs, provinciaux et – surtout – présidentiel, fixée au 23 décembre 2018, la communauté internationale a réagi par un tir nourri de communiqués et de déclarations. Officiellement, pour « prendre acte » ou pour « saluer » cette annonce. Officieusement, pour inciter les autorités congolaises à tenir fermement cette échéance. Si les émetteurs sont multiples (ONU, UA, Etats-Unis, Union européenne, Belgique, Canada, France, etc.), à chaque fois, peu ou prou, les messages sont les mêmes. Et pour cause, la stratégie est commune.
Les élections doivent se tenir au plus tard à la date prévue…
Premièrement, il s’agit de prendre au mot (ou « à son propre piège », pour reprendre les termes de ce député européen) le régime de Kinshasa. Afin d’éviter les foudres de Washington, un calendrier électoral a en effet été publié une semaine seulement après la venue en RDC de Nikki Haley, l’ambassadrice américaine auprès de l’ONU. La représentante du président Donald Trump avait alors délivré un message explicite à Joseph Kabila et aux autorités congolaises : les élections doivent impérativement se tenir en 2018. Kinshasa ne s’est pas risqué de froisser la première puissance mondiale. La CENI a donc bien retenu 2018 pour l’organisation des élections, tout en prenant soin de sélectionner la date la plus éloignée, soit le 23 décembre, et de signifier qu’il s’agissait d’une date « sous réserve », assortie de « contraintes » pour sa mise en œuvre.
Consciente du caractère fragile de cette annonce et des manœuvres dilatoires d’un pouvoir toujours prompt à repousser indéfiniment la date des élections avec force arguments (d’ordre financier, sécuritaire, logistique, technique et même… climatique !), la communauté internationale – Etats-Unis en tête – a décidé de prendre Kinshasa a son propre jeu. « Ok, la date constitutionnelle, celle du 27 novembre 2016, n’a pas été respectée. Ok, celle prévue dans l’accord de la Saint-Sylvestre – fin 2017 – ne l’a pas été non plus. Mais cette fois-ci, nous considérons qu’il n’y en aura pas d’autre. Fin décembre 2018 au plus tard, Joseph Kabila ne sera plus président », explique un diplomate en poste à Kinshasa. « Le chef de l’Etat RDcongolais a fait en sorte, certes sous la pression, de fixer une date pour les élections. Celle-ci doit maintenant être rigoureusement observée. Aucun nouveau glissement ne sera toléré », renchérit cet ambassadeur auprès de l’ONU. De son côté, Kinshasa, ne manquera sans doute pas, pour tenter de repousser l’échéance, de faire valoir les différentes « contraintes » dont parlent régulièrement Corneille Nangaa, le président de la CENI et les responsables de la majorité présidentielle.
Hier, la CENI en a d’ailleurs listé et rendu publiques 17.
En outre, il est fort à parier que les autorités congolaises chercheront à faire endosser la responsabilité d’un éventuel report du processus électoral à la communauté internationale, qui s’est engagée à le financer « en partie » et « sous conditions ». « Nous le savons, le moindre prétexte sera exploité », lâche avec lucidité ce responsable d’une ONG locale de défense des droits de l’Homme.
… dans de bonnes conditions…
Second point qui ressort de cette série de communiqués, la communauté internationale indique clairement qu’elle ne se contentera pas d’une date pour les élections.
Le processus électoral doit être aussi transparent et crédible que possible. A cela, il y a un préalable, la mise en œuvre des mesures de décrispation politique.
La communauté internationale en a d’autant plus conscience que les évêques de la CENCO, médiateurs dans le cadre de l’accord de la Saint-Sylvestre, ont lourdement insisté sur ce point lors de leur rencontre avec Nikki Haley à Kinshasa.
Il s’agit notamment de la libération des prisonniers politiques (Jean-Claude Muyambo, Eugène Diomi Ndongala, Franck Diongo, le Professeur Huit Mulongo, les membres des mouvements citoyens, etc.),
du retour des exilés (Moise Katumbi), de la liberté de manifestation, de la levée de la censure qui frappe les médias d’opposition ou encore de l’arrêt du dédoublement des partis d’opposition (un stratagème mis en œuvre par le régime de Kinshasa).
Ce jeudi 9 novembre, dans une déclaration commune suite de leur rencontre à Addis-Abeba, en Éthiopie, le commissaire de l’Union africaine pour la paix et la sécurité, Smaïl Chergui, l’envoyé spécial du Secrétaire général des Nations Unies pour la région des Grands Lacs,
Saïd Djinnit, ainsi que le Représentant spécial du Secrétaire général de l’ONU pour la République démocratique du Congo (RDC) et chef de la MONUSCO, Maman Sidikou, ont indiqué qu’il était urgent de mettre pleinement en œuvre les « mesures de confiance » (autrement dit de décrispation politique) prévues dans l’accord du 31 décembre 2016.
Le même jour, à Genève, en Suisse, le Comité des droits de l’Homme de l’ONU a appelé la RDC à organiser des élections en décembre 2018 « libres, pacifiques et honnêtes », selon les termes utilisés par l’un des experts du comité de l’ONU, Olivier de Frouville, lors d’une conférence de presse. La veille, le gouvernement canadien, qui a dit lui aussi « prendre acte de la publication du calendrier électoral en République Démocratique du Congo », a insisté dans sa déclaration sur la nécessité « de libérer les prisonniers politiques et de mettre un terme aux poursuites judiciaires motivées par des raisons politiques ».
Pour le Canada comme pour d’autres pays (Etats-Unis, Belgique, France, Royaume-Uni, etc.), il s’agit d’un préalable d’autant plus absolu qu’il a été acté dans l’accord de la Saint-Sylvestre.
… et sans Joseph Kabila
Troisième et dernier point sur lequel insiste la communauté internationale, les élections doivent certes se tenir au plus tard à la date prévue et dans de bonnes conditions, mais aussi sans Joseph Kabila. C’est là une autre ligne rouge à ne pas franchir. Déjà, lors de sa venue à Kinshasa, Nikki Haley en « off » avait été très claire à ce sujet. « Bien [qu’elle] n’ait pas mentionné Kabila par son nom, elle a suggéré qu’il était temps pour lui de s’en aller », a rapporté la très influente chaîne de télévision américaine CNN sur son site internet. Une confidence faite par la diplomate à une poignée de journalistes qui l’accompagnaient. En outre, toujours selon CNN, citant les propos d’un de ses assistants, Nikki Haley aurait expressément évoqué à cette occasion un « transfert pacifique du pouvoir ». Des propos qui excluent tout nouveau mandat pour Joseph Kabila. Ce mercredi 8 novembre, Mme Haley a été reçue par le président du Comité des Affaires étrangères de la chambre des Représentants des Etats-Unis, à Washington, pour qu’elle puisse rendre compte de sa visite au Congo-Kinshasa. A l’issue de cette audition, Ed Royce, le président de ce comité, a enfoncé le clou : « en RDC, le président Kabila a apparemment présenté des raisons interminables de retarder l’élection pour choisir son successeur. Le calendrier électoral – qui a été publié après que vous ayez précisé que le vote doit avoir lieu l’année prochaine – était une étape positive. Cependant, nous devons garder un œil attentif sur Kabila qui doit partir », a déclaré cet ex-conseiller du Président Donald Trump dont il est toujours proche. Mais Ed Royce prêche à une convaincue. En début de semaine, l’ambassadrice américaine auprès de l’ONU, tout en saluant la publication du calendrier électoral en RDC, avait une nouvelle fois prévenu : « de nouveaux retards et tentatives de garder le pouvoir ne feront qu’isoler les dirigeants et le gouvernement congolais ». Des menaces à peine voilée…
« Joseph Kabila a la tête de la RDC, c’est pour nous du passé. Il y a 80 millions de Congolais. Il y en a au moins un qui pourrait lui succéder, non ? », fait mine de s’interroger cet ambassadeur en poste à l’ONU. Un trait d’humour pour évoquer ce qui constitue peut-être le sujet le plus important. Car beaucoup pensent en RDC que, tant que le Président Joseph Kabila sera au pouvoir, il sera difficile d’organiser un scrutin électoral auquel il ne participera pas. « Une brève transition sans Kabila […] représente probablement le meilleur moyen de s’assurer que de bonnes élections soient organisées », pense la chercheuse Ida Sawyer, spécialiste de la RDC à Human Rights Watch. L’opposition congolaise et les mouvements citoyens l’ont, eux, bien compris. Immédiatement après l’annonce dimanche soir de la nouvelle date des élections, ceux-ci ont unanimement rejeté le calendrier de la CENI (Moïse Katumbi l’a qualifié de « fantaisiste », Etienne Tshisekedi de « provocation »). Surtout, dans la foulée, ils ont appelé à la mobilisation populaire et à la désobéissance civile pour bouter hors du pouvoir un Joseph Kabila qui aura, à leurs yeux et en vertu de l’accord de la Saint-Sylvestre, perdu toute légitimité après le 31 décembre 2017. Cette semaine, les villes de Goma, Kindu, Bukavu, Beni et Lubumbashi se sont tour à tour embrasées pour protester contre le calendrier électoral et le maintien au pouvoir de l’actuel chef de l’Etat. Kinshasa, la capitale, pourrait ne pas tarder à leur emboîter le pas…
LA LIBRE AFRIQUE, 11/11/17